Le mythe subsaharien des eurobonds réussis

Les acclamations satisfaites des autorités est le principal invariant des Euro obligations africaines. Sur-souscription, grande réussite, road show réussi, taux avantageux, les superlatifs s'alignent et se déploient au fil des incursions sur les marchés. Pourtant, une observation minutieuse de ces opérations qui se multiplient sur le Continent depuis une décennie démontre que leur éclat est un leurre. Pire, l'absence totale de capacité d'action sur la vie de ces titres obligataires renforce leur dangerosité. Les taux, les conditions monétaires, les conjonctures économiques constituent un cocktail dont l'explosion pourrait avoir des effets considérables.

Le durcissement des conditions du marché en 2015 vis-à-vis des Etats africains a enrayé leur rythme d'émission des eurobonds. Entre 2006 et 2014, les Etats africains ont levé 26,5 milliards de dollars sur les marchés américains, européens et asiatiques. Puis la machine s'est grippée, suite notamment au choc pétrolier de novembre 2014.

Une reprise progressive s'observe cependant avec les sorties récentes du Sénégal et de la Côte d'Ivoire, dont les résultats ont bien sûr été acclamés. Le Sénégal a levé 1,1 milliard de dollars à 15 ans de maturité au taux de 6,25%, le tout avec des demandes d'achats au total estimées à 7,7 milliards de dollars. «Une bonne performance», selon le ministre sénégalais des Finances. La Côte d'Ivoire a levé près de 2 milliards de dollars en deux tranches de 1,2 milliard sur 16 ans à 6,125% et 625 millions d'euros sur 8 ans à 5,125%. Là encore la sur-souscription s'est élancée jusqu'à 9,3 milliards de dollars. «Le succès de cette opération est le témoignage de la confiance des marchés financiers internationaux», déclara le Premier ministre ivoirien.

Les taux obtenus pour ces opérations sont en réalité tout sauf satisfaisants. Comparaison n'est pas raison, mais première remarque, les Etats des zones géographiques de placement de ces emprunts se financent à des taux nettement plus bas que les nôtres. Un cruel rappel du niveau de crédibilité de nos Etats vis-à-vis des investisseurs, même si les responsables politiques tiennent un discours lénifiant. Pour exemple, le taux de financement à 10 ans des obligations américaines est de 2,23%. Celui du Canada ? 1,88 ; la Chine ? 1,48% ; le Japon ? 0,057% ; la France ? 0,79% ; l'Allemagne ? 0,48%. Enfin petite joyeuseté, le record toute catégorie est détenu par le Venezuela avec... 30,62%.

Il est donc assez étonnant de voir nos dirigeants s'autocongratuler pour des emprunts intéressés autour de 6%. Les Etats-Unis, la Chine ou l'Allemagne ne sont certes pas le Sénégal, le Gabon, ou la Côte d'Ivoire, mais ces taux sont de véritables douves dans les ressources étatiques africaines. Rapporté au budget annuel 2017 de 3 360 milliards de CFA de l'Etat du Sénégal, les 6,25% de l'Euro bond 2017 correspondent à 210 milliards de francs CFA de service de dette annuelle, uniquement sur cette créance. Beaucoup plus que le budget de la santé à 164 milliards de francs CFA. Sur 15 ans, rajoutées les diverses autres créances dues, la charge totale de la dette a de quoi interroger.

Le spread entre les divers taux étrangers et africains s'explique avant tout par la pertinence de la structuration économique de chacun. La grande majorité des Etats africains dépend du commerce extérieur pour ses ressources. Il s'agit là de la persistance du schéma économique colonial organisé pour drainer les ressources vers les métropoles. Cette dépendance maximaliste à la santé des cours des matières premières et au bon vouloir des négociants expose les Etats africains à des chocs exogènes sur lesquels ils n'ont aucun pouvoir. Exposés à tout moment à la dégradation des termes de l'échange, les investisseurs ne sont que plus frileux vis-à-vis de l'Afrique. L'on a pu voir un pays comme l'Angola emprunter en septembre 2015, 1,5 milliard de dollars sur 10 ans à un taux de 9,5%. Ou le Ghana s'endetter en octobre 2015 pour 1 milliard de dollars sur 15 ans, au taux de 10,75% avec garantie partielle de la Banque mondiale. La dégringolade du baril amorcée en novembre 2014 pour l'un et la chute des prix du cacao pour l'autre expliquent ces taux complètement ahurissants.

Le poison du risque de change

La grande majorité des incursions d'Etats sur les marchés internationaux se fait en devise étrangère, souvent en dollars, quelques fois en euros. Après l'inexistence de tout pouvoir sur les prix des matières premières, les emprunts en devises étrangères sont l'autre face de l'absence totale de maîtrise des Etats africains sur les euro-obligations.

Le coût des emprunts en monnaie étrangère est intimement lié à la valeur du dollar, monnaie d'émission. La dette africaine issue des eurobonds est ainsi directement sujette à la politique monétaire de la FED. Bien évidemment, cette dernière tient compte uniquement des contingences intérieures américaines pour se déterminer et aucunement celles des Etats emprunteurs. De quoi parfaitement illustrer John Connally et sa formule «le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème».

Concrètement une hausse des taux directeurs du dollar américain par la FED, pour quelconque raison de politique intérieure, entraîne immédiatement une hausse des taux d'intérêt. La dette issue des obligations internationales des pays africains peut ainsi varier d'un niveau à l'autre sans que les débiteurs n'aient eu leur mot à dire et soient réduits à subir passivement. Cela est particulièrement inconfortable, car la FED a amorcé crescendo un relèvement de ses taux depuis septembre 2015, mettant un terme au Quantitave Easing ayant alimenté le redressement de l'économie américaine après la crise des subprimes.

Dans le même temps, les économies africaines, frappées de plein fouet par la baisse des prix des matières premières ont dévalué, pour celles qui le peuvent, leur monnaie afin de retrouver de la compétitivité externe. La zone CFA quant à elle, incapable de s'adapter par elle-même, subit encore plus violemment la conjoncture des matières premières et reste sous la menace d'une dévaluation mortifère par la France. En attendant, les plans d'ajustement du FMI sont de retour un peu partout. Vieille tentation africaine de changer le thermomètre pour faire baisser artificiellement la température.

Quelles solutions ?

Mobiliser l'épargne africaine. La priorité la plus pressante est de «recontinentaliser» la dette obligataire extérieure. La remontée des taux de la FED, appareillée aux dévaluations africaines, renchérit le coût des dettes. Il urge qu'une banque publique d'investissement de l'Union africaine voit le jour avec pour mission entre autres, la traque des titres de dette publique africaine sur les marchés secondaires internationaux.

L'Afrique a largement les moyens d'investir dans ces obligations à la merci des taux étrangers. En 2016, les fonds de pension africains disposaient de 334 milliards de dollars d'actifs sous gestion, en plus des 164 milliards de dollars des fonds souverains continentaux. Il serait temps d'utiliser cette épargne à bon escient plutôt que de se ruer sur les marchés étrangers comme on se rend à Canossa. Les titres de dette africaine ainsi ramenés en monnaies locales sont plus gérables que laissés en monnaie étrangère. Car un autre danger menace : la tension budgétaire qui déstabilise les Etats africains pourrait à terme entraîner une forte décote des titres obligataires, ce qui attire la convoitise des fonds vautours. Un scénario redoutable.

La meilleure manière à long terme d'arriver à de meilleurs taux de financement est la modification en profondeur des modèles économiques. Réduire la dépendance envers les chocs extérieurs en passant du tout export à des économies fortement manufacturées. Il est heureux à cet égard de constater le pari du président Akufo-Addo d'engager des réformes de structure devant industrialiser massivement son pays et lui permettre de se libérer de la dépendance aux ressources extérieures.

La lutte contre le poids de l'informel, véritable «exil fiscal intérieur» apparaît comme une nécessité. Il serait intéressant que voient le jour des programmes d'aide à l'officialisation d'activité avec en retour, une politique d'incentive tax devant encourager les acteurs économiques à se déclarer. Il est important de noter que sans une amélioration de la gouvernance, il serait illusoire de mener des politiques qui conduiraient à augmenter les budgets d'Etat sur lesquels il n'y aurait ensuite traçabilité véritable.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.