Sécurité maritime en afrique : ensemble pour aller plus loin (Tribune)

Vaincre la piraterie et l'insécurité maritimes demande la conjugaison de moyens considérables dans la durée et dans une zone géographique qui dépasse les frontières d'un seul. Pour y réussir, cette paraphrase de Nelson Mandela, vient à point nommé : « Aller seul parait plus rapide, mais aller ensemble permet d'aller plus loin ». Tribune de Kabiné Kamara

L'Union Africaine s'est réunie en session extraordinaire le 15 octobre 2016 à Lomé pour débattre des enjeux de la sécurité et la sûreté maritime sur le développement du continent, et accessoirement de l'immigration clandestine. Cette rencontre qui s'est déroulé dans un contexte marqué par la recrudescence de la criminalité sur les mers, sort du cadre des multiples conférences, ateliers ou workshop qui se tiennent sur le continent et pour cause. D'ores et déjà, le vendredi 9 septembre, en prélude à ce sommet, les Ministres Africains en charge de la Justice avaient adopté un projet de Charte sur la Sûreté et la Sécurité Maritimes, Charte dont l'adoption formelle s'est effectuée lors du Sommet des Chefs d'Etats. Il était en effet grand temps que l'Afrique se dote d'un instrument juridique adéquat pour protéger son vaste domaine maritime et en promouvoir une judicieuse et durable exploitation au profit de ses populations.

L'Afrique couvre 6% de la surface de la planète et 38 des 54 Etats qu'elle compte ont une façade maritime. La longueur totale de littorale du continent est de 26.000 milles nautique. Le domaine maritime africain s'étend sur une près de 13 millions de km2, y compris les eaux territoriales, les zones économiques exclusives (ZEE), et un plateau continental d'environ 6,5 millions de km². D'une manière générale, le concept d'économie bleue, relativement nouveau, couvre tout le potentiel des ressources d'eau et les rives (océans, mers, côtes, lacs, cours d'eau et nappes souterraines) qui impliquent une gamme variée d'activités économiques telles que la pêche, l'aquaculture, le tourisme, les transports, la construction navale, l'énergie, la bioprospection et toutes les filières du secteur minier sous-marin. La sécurité du cadre physique de déroulement de ces activités est une question de survie stratégique pour le continent Africain.

Avenir bleu

L'économie bleue liée à la mer est d'une signification économique vitale pour les pays côtiers Africains. En effet, 90% des transactions commerciales (importations et exportations) transitent par la mer. L'apport des produits de la mer fait vivre plus de 200 millions d'Africains. A titre d'exemple, le Golfe de Guinée à lui seul regorge d'importantes richesses halieutiques, minières et d'hydrocarbures qui en font une grande zone d'intérêt géostratégique et une véritable plaque tournante majeure du commerce international. Toutefois, le potentiel de l'économie bleue en Afrique est confronté à de multiple agressions dont la non maîtrise, à brève échéance, pourrait contribuer à entraver son essor.

Certaines de ces agression interviennent de manière silencieuse (dégradation des écosystèmes ; la pollution et la destruction des habitats naturels), tandis que d'autres interviennent de manière violente, à savoir, la pêche illicite, les attaques criminelles en haute mer, les actes terroristes et la piraterie maritime. L'Afrique tend malheureusement à devenir un champ de prédilection pour ces activités criminelles qui impactent dangereusement sur son développement, sur la sécurité de ses populations et sur la survie de certains Etats. Qui ne se souvient pas de la terreur qui a sévit au large des côtes Somaliennes pendant toute la décennie passée, de l'intrépidité des pirates qui ont menacé et désorganisé toute la Corne de l'Afrique, et même au-delà. De même, dans le golfe de Guinée, la zone autour du Nigéria, constitue une région chaude en matière de piraterie et d'attaques en mer. Au Bénin, à un moment donné, l'insécurité avait provoqué une chute de près de 70% du trafic maritime, entraînant la perte de près d'un quart des recettes de l'Etat. Très récemment, les attaques terroristes dans les zones balnéaires en Egypte et en Tunisie, ont mis à mal le secteur touristique de ces pays, secteur qui contribue à près de 10% du PIB et génère quelques 10 milliards de dollars de revenu pour ces pays. Sur un autre plan, il est de notoriété publique que la pêche illicite appauvrit nos océans, met en danger la sécurité alimentaire et réduit considérablement les revenus des Etats côtiers.

sécurité maritime

Fait plus grave, les Etats Africains font actuellement face à de grands risques de déstabilisation sécuritaire dû à l'importation frauduleuse de la drogue, le plus souvent par voie maritime ; mais aussi et surtout, par l'introduction d'armes de toutes sortes dont se servent les groupes terroristes pour tenter de saper les fondements des Etats, comme c'est le cas en Somalie, en Libye, en Algérie et plus récemment au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Tchad, au Cameroun, au Nigéria, où le groupe Boko Haram se targue de détenir un arsenal de guerre sans égal. C'est aussi par les océans que s'exerce le trafic humain qui vide les pays de bras valides, en déversant sur les côtes européennes, des milliers d'africains en provenance d'Etats plus ou moins faillis. L'ampleur, la diversité et les conséquences de cette insécurité et de cette piraterie multiformes ne peuvent donc laisser indifférent.

Que le Togo qui aspire à devenir un Hub sous régional de transit, un centre financier sous régional et un pays de services, prenne l'initiative d'abriter ce sommet, sur la sécurité maritime en Afrique, n'a rien d'étonnant. Certes, il existe des structures sous-régionales qui ont abordé ce thème, soit sous un angle sectoriel (pêche par exemple) ou sous l'angle géographique (golfe de Guinée). Mieux que quiconque, les petits Etats Insulaires d'Afrique tels que le Cap-Vert, les Comores, l'Ile Maurice, São Tomé & Principe et les Seychelles, savent le prix à payer, s'ils devaient rester en permanence à la merci de l'insécurité et de la piraterie maritimes, eux qui n'ont de frontière que la mer, cette mer qui est censée être leur source de bonheur et de prospérité, mais d'où peuvent, hélas, également provenir leur malheur et leur désastre, si des mesures de protection hardies n'étaient pas prises.

Harmonisation de la lutte

Des exemples réussis de mutualisation de moyens de lutte contre la piraterie et l'insécurité maritimes peuvent inspirer les pays africains. De toute évidence, les Etats du littoral n'ont pas d'autres choix que de mutualiser leurs efforts, car la lutte contre la piraterie à un coût élevé. Par exemple, le coût des forces déployées dans l'océan indien pour combattre le fléau a été évalué à 2 milliards de dollars US par an, rien que pour sécuriser le transport maritime. La prévention et la surveillance maritimes, font recourt aujourd'hui à des instruments technologiques de dernière génération et à grand rayon de couverture. Leur acquisition et leur mise en commun au service de missions conjointement définis, seront d'un intérêt vital pour prévenir biens de préjudices. Un exemple réussi de coopération, est celui mis en place pour lutter contre la piraterie dans le détroit de Malacca, une artère vitale pour le commerce mondial en Asie du sud-est. Dans cette région, avec l'aide du Japon, l'Indonésie et la Malaisie ont conclu un accord régional de coopération, le 1er du genre, sur la lutte contre la piraterie et les attaques armées contre les navires en Asie. Cet accord a permis de créer un centre de partage d'information à Singapour et la mise en place de moyens de lutte efficace contre la piraterie.

Ainsi, le Sommet de Lomé, ne devra pas uniquement adopter une Charte sur la Sûreté et la Sécurité Maritimes, comme il l'a effectivement fait. Il devra en outre convenir de formules pour des structures opérationnelles qui pourront non pas seulement traquer et arrêter les pirates de tout bord, mais aussi, développer une approche holistique englobant la complexité de la criminalité et de la piraterie dans tous ses aspects. La dimension sociologique et politique du fléau ne devrait pas être occultée ; car, ce serait se voiler la face que de ne pas reconnaître que dans certains pays, la mauvaise gouvernance des Etats sont des facteurs qui catalysent l'insécurité et la piraterie. Comme on le voit, vaincre la piraterie et l'insécurité maritimes demande la conjugaison de moyens considérables dans la durée et dans une zone géographique qui dépasse les frontières d'un seul. Pour y réussir, cette paraphrase de Nelson Mandela, vient à point nommé : « Aller seul parait plus rapide, mais aller ensemble permet d'aller plus loin. »

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