Méditerranée  : la frontière impossible  !

Pour Moussa Mara, ancien Premier Ministre malien, la Méditerranée, comme toute mer d'ailleurs, ne peut pas devenir une frontière, les mesures sécuritaires employées contiendront peut-être les migrants, mais elles ne les arrêteront pas.

Jadis route maritime majeure de la planète, celle par laquelle ont transité les progrès technologiques et techniques majeures du XVe au XIXe siècle, la méditerranée est davantage considérée dans l'imaginaire européen et occidental d'aujourd'hui comme une frontière plutôt qu'un espace en commun avec le Maghreb et l'Afrique. Cette mer qui fit tant la fortune des hommes et des empires sur ses deux rives voient désormais fleurir sur sa surface des opérations destinées à limiter le mouvement des hommes, les migrations et faire de l'Europe une forteresse qu'il n'a jamais été et qu'il ne sera jamais.

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L'opération Frontex avec une myriade de bateaux, de moyens aériens, de radars et autres images satellitaires sans évoquer les milliers d'hommes mobilisés pour la cause avec pour objectif de stopper les flux de migrants visant les côtes européennes. Elle n'a pour l'instant pas atteint ses objectifs. Dernièrement, à la valette sur l'Ile de Malte, il y eut un sommet entre les dirigeants européens et quelques-uns de leur homologues Africains (pays de départ des migrants) pour informer ces derniers qu'il faut lutter plus énergiquement contre les départs et les réseaux mafieux et que ceux qui y arrivent, ou à tout le moins qui s'engagent franchement dans la lutte, seront récompensés en financement. Pour l'instant sans succès notable !

Changer d'angle

L'une des conséquences les plus manifestes et des plus regrettables de ce tour de vis sécuritaire, est de rendre plus difficiles les mouvements des migrants et donc plus dangereux et surtout plus lucratifs pour les passeurs et autres bandits qui profitent de ce système et qui sont les premières cibles à réduire si on veut contrôler les flux migratoires. Autrement dit, la manière de la lutte est entrain de profiter à ceux qui sont les principaux responsables de la situation. Il faut changer l'angle de traitement de cette question. Aujourd'hui, la méditerranée est en passe de devenir un immense cimetière (plus de 4000 noyés répertoriés officiellement chaque année, sans doute beaucoup plus en réalité) avec pourtant toujours plus de candidats au départ et toujours plus de passeurs, de trafiquants et donc, toujours plus de désastres en perspectives.

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Il est urgent d'envisager un traitement plus stratégique de cette question. La Méditerranée, comme toute mer d'ailleurs ne peut pas devenir une frontière, les mesures sécuritaires employées contiendront peut-être les migrants mais elles ne les arrêteront pas. Aucun dispositif sécuritaire ne peut être totalement efficace quand il est mis en place dans un espace de souveraineté partagée mais aussi et surtout dans un cadre où l'aisance et le confort, eux, ne sont pas partagés ! Avec d'un côté les riches ou supposés riches et de l'autre des pauvres ou supposés pauvres, il y aura une inclinaison naturelle des seconds vers les premiers car le réflexe humain est d'abord et avant tout un réflexe de survie et de quête de confort !

Bonheur et richesse partagés

A ce concept de frontière maritime, de sécurisation de celle-ci ainsi que de lutte contre les migrations qui lui est associée, il faut opposer le concept de prospérité partagée, non pas entre les deux rives de la Méditerranée mais aussi avec la profondeur stratégique de cette dernière.

Autant il a fallu associer les autorités somaliennes et des acteurs locaux de ce pays dans la lutte contre la piraterie maritime au large de la Somalie, dans l'Océan indien, autant il faut associer de nombreux acteurs dans la quête de la sécurisation de la Méditerranée afin de ramener cette mer à sa vocation d'origine, le commerce, la facilitation des relations humaines, le bonheur et la richesse partagés.

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La sécurité maritime comme la sécurité tout court se construit souvent à des milliers de km de la mer. Le vieux concept du cinq plus cinq entre les deux rives de la Méditerranée (5 pays d'Europe et 5 pays du Maghreb) est à renouveler avec la stratégie du cinq plus cinq plus cinq en y ajoutant 5 pays du Sahel qui sont incontournables dans la gestion des flux migratoires vers l'Europe à travers le Sahara. Cela nous amènera ainsi à traiter de manière profonde cette question et dans la durée en créant les conditions d'une coopération multifonctionnelle et durable entre les deux rives de la mer. D'un côté le premier 5 (France, Espagne, Italie, Grèce, Portugal), de l'autre le second 5 (Maroc, Algérie, Libye, Tunisie, Égypte) mais aussi et surtout le troisième 5 (Mauritanie, Mali, Niger, Sénégal, Tchad).

Pistes stratégiques

Cette stratégie à mettre en place pourra se concrétiser par plusieurs axes de collaboration. D'abord le renforcement étatique à travers les reformes du système judiciaire, la coopération judiciaire, la formation du personnel, son équipement, sa protection et son encadrement vers la sécurisation des carrières gage de l'efficacité de son action. Il y a la question épineuse de la lutte contre la corruption, celle du traitement des réseaux mafieux de trafic d'êtres humains dont certaines ramifications remontent dans des cercles élevés de pouvoir...la reconstruction des capacités de la justice dans certains pays conditionne toute refondation étatique.

Au chapitre du renforcement étatique, il y a aussi les questions de renseignement, de partage d'information, de sécurisation des frontières, de renforcement des polices des frontières, d'utilisation de technologies pour identifier et suivre les mouvements...Améliorer les compétences en matière de sécurité intérieur et de surveillance du territoire, d'identification des populations et de suivi des parcours individuels constituent quelques actions qui seront utiles dans le cadre de la coopération entre les pays pour mieux encadrer les migrations.

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Ensuite, il y a la problématique des mouvements légaux qui doivent être facilités avec l'implication de la diaspora dans les pays de destination. Le retour de cette dernière, son investissement au niveau local, son implication sur les questions de gouvernance et de leadership, sa participation à l'économie sont également des questions à évoquer car, souvent, les perspectives socioéconomiques et politiques n'existent pas pour ceux qui veulent revenir au bercail.

Se barricader, vraiment ?

Il convient sans doute d'aborder de manière centrale la question du développement endogène. Celui qui est nanti gagne indubitablement à aider son partenaire à s'enrichir pour partager les fruits de cet enrichissement avec lui. Ce reflex d'aider l'autre à se sortir de la pauvreté est toujours plus salvateur que de vouloir se barricader et de n'accepter de commercer avec lui que dans des termes défavorables qui le maintiendront en dépendance et en pauvreté. Les nations européennes doivent lancer de grandes initiatives de développement des pays de départ dans des domaines comme l'énergie, les infrastructures de production et de transport, la qualité des ressources humaines, le renforcement des bases locales de leurs économies (industrialisation)...

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Il y a enfin les questions démographiques et de gestion des populations qui doivent aussi faire l'objet de véritables plans stratégiques permettant de les réguler dans l'optique de maintenir et d'améliorer la qualité des ressources humaines gages de prospérité et donc de réduction de l'émigration.

En conjuguant de manière intelligente ces initiatives et surtout en le faisant dans le temps, on améliorera le sort des populations qui migrent et celui de leurs collectivités. Cela contribuera sans doute à redonner à la Méditerranée sa vocation originelle. On fera ainsi en sorte que celui qui vient s'y noyer aujourd'hui, fera transiter ses marchandises par elle demain à destination d'un des marchés de pays riverains qui auront tous été des pays riches avec des populations qui y vivent dans des conditions acceptables et qui partagent avec les autres cette prospérité.

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