Piraterie maritime en Afrique : pourquoi il faut dépasser « Le facteur Tom Hanks »

Popularisée par le film à grand succès « Capitaine Philips », la piraterie somalienne a contribué en grande partie à créer un effet de loupe autour de ce phénomène.
Abdelmalek Alaoui

Le thème de la piraterie maritime, qui occupe les devants de la scène médiatique mondiale depuis dix ans représente un excellent exemple de distorsion narrative autour de l'Afrique.

Popularisée par le film à grand succès « Capitaine Phillips », la piraterie somalienne a contribué en grande partie à créer un effet de loupe autour de ce phénomène.

Nous avons tous en effet en tête les images des pirates somaliens sans chaussures et armés de machettes, à l'abordage des navires de commerces qui croisent au large de leurs côtes. Au printemps 2016, un confrère américain partageait avec moi ce raccourci saisissant : « peut-être l'Afrique a t-elle perdu la bataille des perceptions sur la piraterie maritime en un seul film, « Capitaine Phillips », il est impossible de  battre Tom Hanks ».

Au delà de la boutade, cet observateur avait raison, l'Afrique ne peut pas battre Tom Hanks sur le terrain médiatique.

Au cours de la période 2011-2015, le terme « piraterie maritime » combiné avec le mot « Afrique » a généré 1200 articles dans la presse internationale, là ou ce même terme combiné avec le mot « Asie » n'en générait que 140.

L'on serait donc tenté de penser que l'Afrique a été le théâtre d'actes ou de tentatives de piraterie beaucoup plus importantes durant cette période par rapport à l'Asie.

Or, un examen des statistiques détaillées du International Maritime Bureau (IMB), principale autorité en matière d'actes de piraterie dans le monde prouve tout le contraire.

Comme l'on peut le voir dans le graphique d'analyse croisée ci dessous, l'Asie a connu près de 30% d'actes de piraterie maritime de plus que l'Afrique durant cette période, soit un total de 802 par rapport à 615. En termes de rapport statistiques, cela signifie que pour chaque acte ou tentative de piraterie perpétré en Afrique, au moins deux articles sont générés en moyenne, alors que le même acte en Asie n'en génère que 0,17.

Graph tribune MAA capture pdf

Ce ratio est tellement déséquilibré que l'on serait tenté d'en tirer la conclusion que l'Afrique serait la « mal aimée » des médias mondiaux et qu'elle serait systématiquement stigmatisée dans ses composantes d'instabilité et d'insécurité. Là encore, ce serait céder à la facilité que d'estimer qu'il ne s'agit là que d'une volonté mal intentionnée de la part des médias, qui ne voudraient voir dans l'Afrique que ce « continent sans espoir ».

En réalité, il faut remonter un peu plus loin dans l'historique des actes de piraterie pour comprendre quel est le mal véritable qui ronge le continent en matière de perception : l'effet retard et l'amalgame.

Comme l'on peut le voir dans le graphique ci dessous, l'Afrique a connu beaucoup plus d'actes de piraterie que l'Asie durant la période 2008-2012, avec un pic atteint en 2011 (293). Toutefois, la majorité des actes sont à mettre sur le compte de l'émergence du golfe d'Aden comme nouveau centre de gravité de la piraterie maritime africaine aux avec les côtes Somaliennes et Nigérianes. A elles trois, ces zones concentrent en effet une écrasante majorité des actes de piraterie commis durant la période 2006-2011, soit plus de 76%*.

Graph 2 tribune MAA (capture PDF)

Ceci signifie qu'un problème conjoncturel localisé - la sécurisation du flanc oriental de l'Afrique et d'une partie du golfe de Guinée- est devenu peu à peu une réalité médiatique qui a agit comme un timbre cognitif indélébile, associant l'image de l'Afrique à la piraterie pour longtemps. En y ajoutant un film tel que « Capitaine Phillips », l'on obtient un effet d'accélération et d'amalgame redoutable.

Le fait que les actes de piraterie aient chuté de manière spectaculaire en Afrique à partir de 2012, et qu'ils poursuivent depuis une courbe descendante là où la courbe asiatique a en moyenne cru au cours de la décennie passée n'a rien fait pour enrayer cet emballement médiatique autour de la piraterie en Afrique, qui continue d'occuper les radars informationnels mondiaux.

Qui serait donc à blâmer pour cet état de fait ? Les médias parce qu'ils auraient manifestement continué à stigmatiser l'Afrique alors que la piraterie diminuait drastiquement, ou bien les gouvernements africains parce qu'ils n'ont pas été en mesure de faire la pédagogie de la transformation de leur continent ?

Là encore, il n'existe pas de réponse toute faite à ce type d'interrogations, et la responsabilité est sans doute commune aux médias et aux gouvernements, l'un ne voulant voir que le poids de l'histoire, et l'autre ne sachant composer au présent sa réalité.

Le temps est donc venu pour l'Afrique d'organiser une contre-narration efficace afin de faire la pédagogie de l'action du continent qui permettrait de mettre en lumière la réalité du phénomène. Le sommet de Lomé, initiative de grande ampleur de part la qualité des participants et l'intensité des débats, devrait à ce titre ouvrir la voie à une riposte globale pour dépasser le « facteur Tom Hanks ».

*Sur 1188 actes commis en Afrique entre 2006 et 2011, 913 l'ont été dans l'une des trois zones.

Abdelmalek Alaoui

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