La planète serait-elle en train de devenir une fabrique de radicaux ?

Le radicalisme s'est imposé comme un fléau mondial qui n'épargne aucune contrée ou presque. Zoom sur les causes et les répercussions de ce phénomène planétaire. Par Moussa Mara, Ancien Premier ministre du Mali.

Poser cette question est déjà y répondre au moins en partie ! Comment ne pas s'alarmer devant la succession d'attitudes, d'événements, de postures de dirigeants et d'actions de gouvernants qui, chaque jour, plongent les simples citoyens dans les inquiétudes et les interrogations ? Comment ne pas s'alarmer devant des faits, qui sont têtus comme dirait l'autre, qui réconfortent toujours plus les thèses des extrémistes et les rendent crédibles aux yeux de populations de plus en plus tentées par le jusqu'au-boutisme ?

De l'Asie à l'Amérique en passant par le Moyen-Orient, l'Europe ou notre continent, de nombreux faits, malheureusement récurrents, nous amènent vers la tentation des extrêmes, de la confrontation, du repli sur soi ou sur sa communauté (religieuse, ethnique...) face à l'étranger, l'extérieur devenus des menaces ou perçus comme tels.

Un panorama désolant

En Asie, selon les contrées, nous sommes témoins de la marginalisation ou de la ségrégation de millions de personnes du fait de leur ethnie ou de leur croyance religieuse. Ici un pays a du mal à établir un consensus national autour d'un projet commun pouvant lui donner un autre destin que de vivre accroché au soutien extérieur. Là un pays, militarisé et bunkerisé, avec une armée véritable régente du pouvoir, changeant les leaders à sa guise, décidant des résultats de scrutins, laissant quelques fois assassiné un politicien gênant, faisant de l'Etat une organisation qui tourne le dos au service public au bénéfice de quelques privilégiés. Quelle réaction attendre des populations victimes de ces situations ?
Aux Etats-Unis d'Amérique, un pays souvent tourné vers lui-même et dont les populations connaissent peu du reste du monde, on assiste depuis quelques temps à une droitisation des discours et à une réaction en chaîne qui favorise l'extrémisme d'une bonne frange de la population avec une grande stigmatisation de ce qui apparaît comme différent (musulmans, gens de couleurs, autres minorités). Ces minorités réagissent, des événements ponctuels surviennent renforçant encore plus la radicalisation de groupes entiers de la population de part et d'autre, ce qui alimente les clivages et divise le pays. Au point qu'un leader qui attise les haines parvienne à s'établir comme un candidat sérieux à la présidence de ce pays majeur.
En Europe, notamment en France, l'heure est à la concurrence entre les dirigeants du pays, de droite et paradoxalement de gauche aussi, à qui proposera les solutions les plus radicales (ou les plus loufoques) à ce qui apparaît comme une menace d'islamisation du pays ? On en vient à oublier toute mesure dans ces dérapages, on grossit la menace, on fait peur et on amène les populations à se replier sur elles-mêmes et à voir en la diversité une menace de disparition. Les pays avancent donc inexorablement vers les clivages, les divisions, les tensions, autant de sources de menaces supplémentaires.

Que dire du Moyen-Orient ? La zone de toutes les tensions et de toutes les confrontations violentes, l'endroit du monde où ce qui se traduit par des invectives ailleurs se règle à la mitrailleuse lourde, l'endroit du monde où il semble qu'il n'y ait aucune limite à la barbarie et aux actions les plus destructrices. Un espace où les dirigeants semblent sourds aux suppliques de ceux qu'ils doivent protéger et où les confrontations à essence religieuses sont clairement les plus meurtrières. Une terre qui vit naître les religions et qui constitue pourtant paradoxalement le lieu par excellence des tensions intra et interreligieuses. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que des milliers de radicaux de toute la planète y viennent non pas pour prier Dieu mais pour commettre des actes barbares en son nom !
L'Afrique n'est pas étrangère à ce vaste mouvement de fractures et de confrontations qui s'annoncent. Dans certains endroits, elle l'amplifie et lui donne un visage encore plus dramatique quand on sait les conditions de vie des populations africaines. De l'Ouest à l'Est du continent, des rives du Nil à ceux de Zambèze, on assiste à un divorce lent mais récurrent entre les populations et les élites, sur fond de chômage des jeunes, d'incapacités des gouvernants à répondre aux demandes sociales, de prévarications des ressources publiques, au vu et au su de tous, par des initiés tapis dans les cercles du pouvoir, de montée subséquente de la ferveur religieuse...Un cocktail explosif qui fait écho à ce qui est présenté ailleurs.
La situation de la planète est ainsi présentée avec, dans de nombreux pays, les plus puissants comme les plus pauvres, des tensions pouvant déboucher sur des désordres significatifs. Les tensions ne sont pas, pour la plupart, des difficultés entre pays mais des problèmes internes sur fond de gestion de la diversité, d'accueil des étrangers, de capacité à répondre aux attentes des populations et, de manière stratégique, de vision collective autour des perspectives pour les nations dans un monde de forte mobilité des hommes, des capitaux, des idées, des cultures. Les tensions sont aussi religieuses, il ne faut pas se le cacher et sont fortement connotées par les rapports entre le monde occidental, judéo-chrétien et la Oumma islamique, elle-même fortement divisée entre ses deux grandes branches que sont les sunnites et les chiites.


Le leadership mondial en cause


Il est urgent de prendre la juste mesure de la situation, par des dirigeants ayant une bonne conscience des enjeux et capables de distinguer les vrais enjeux des épiphénomènes, engagés dans des démarches de long terme pour aider leurs pays à sortir de ces zones de turbulences et armés à faire face aux difficultés de la mondialisation pour mieux négocier ces avantages à son profit. Ce type de dirigeant, plutôt denrée rare en ce moment, n'est pas un va-t-en guerre, agit avec précaution et très froidement, s'inscrit dans une dynamique internationale et collaborative avec les autres nations du monde. Ce type de dirigeant s'inscrit pleinement dans la satisfaction des besoins des populations, est un chantre de la bonne gouvernance, de la redevabilité et de la bonne utilisation des ressources publiques au bénéfice exclusif des peuples notamment leurs franges les moins favorisées.

Ce type de dirigeant ne s'enfoncera pas dans le déni, les faux fuyants, la stigmatisation, l'alimentation des peurs des populations face aux autres, le repli sur soi qui confine à la paresse et à la déresponsabilisation, les excuses pour justifier les échecs. Il dira courageusement aux populations leur situation, les efforts à fournir pour s'extraire des difficultés, la tâche qui revient à chacun à commencer par l'élite, les étapes vers le succès et l'invitera à engager avec lui le difficile chemin vers un monde plus juste et plus apaisé. La planète a besoin de ce type de dirigeants pour la sauver des affres de la division et des tensions. L'Afrique évidement, le monde musulman surtout !


Le monde musulman doit se réveiller

Le monde musulman, dont la religion est au centre de nombreuses tensions aujourd'hui, doit urgemment s'engager dans la voie de la résorption des tensions qu'il couve, travailler à l'entente entre les courants religieux qu'il contient, organiser et renforcer la solidarité entre ses membres, orienter une bonne partie de ses ressources vers la prédication et le soutien à la pratique tolérante et ouverte de la religion ainsi qu'à sa bonne compréhension, s'inscrire dans la désescalade des tensions entre les pays majeurs et orienter ainsi les moyens militaires vers l'éducation, les sciences, le renforcement de son capital humain et le rayonnement d'un islam de paix et d'entente.
La planète n'est pas condamnée à être un espace de kamikazes, de confrontations, d'interdictions, de limitations et de replis sur soi. Elle peut se donner un nouveau destin si les hommes, notamment les premiers d'entre eux, ont l'intelligence de la guider dans ce sens.

Moussa MARA
Ancien Premier ministre du Mali
www.moussamara.com

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