«Avec Bâle III, c'est tout le " business model " des banques qui doit être repensé»

L'application des accords de Bâle III, une des initiatives visant le renforcement du système financier mondial, au lendemain de la crise des subprimes de 2007, s'achèverait le 1er janvier 2018. Gilles Bonafi, économiste et expert en analyse économique et financière, explique à «La Tribune Afrique» pourquoi la mise en place de Bâle III pose d'énormes problèmes en termes de niveau de rentabilité et de business model, et surtout comment les établissements bancaires africains devraient réagir face à la baisse de liquidité.
Gilles Bonafi est vice-président de l’Institut Euro-Maghrébin d’Etudes et de Prospectives (IEMEP) qui regroupe de nombreux experts œuvrant en faveur de l’intégration maghrébine.

LTA : Après Bâle I (ratio de Cook édicté en 1988) et Bâle II (ratio de McDonough édicté en 2004), la crise des subprimes de 2007, Bâle III se met aujourd'hui en place avec des ratios édictés en 2010. Selon vous, qu'est-ce qui devrait changer pour Bâle III en janvier 2018 ?

Gilles Bonafi. Oui, il  s'agit de renforcer la sécurité et la solidité du système financier en mettant en place le Regulatory Consistency Assessment Programme (RCAP, NLDR) dont le cœur est l'adoption du standard Liquidity Coverage Ratio (LCR). La période «transitoire» de l'application des accords s'achèverait -je parle au conditionnel- donc au 1er janvier 2108 et la nouvelle définition concernant le capital, le ratio de liquidité LCR, ainsi que l'augmentation des fonds propres seraient donc effectifs dans 80 pays.

De nombreux défis sont à venir surtout ceux concernant les standards sur produits dérivés, les CCP, les fameuses contreparties centrales de clearing exigeant l'augmentation de fonds propres face aux expositions, l'uniformisation du standard SA-CCR de calcul du risque de contrepartie, ainsi que le NSFR, le Net Stable Funding Ratio fixant le ratio de levier entre autres. Mais tout ne changera pas fondamentalement en 2018.

De plus, comme le souligne l'Agefi, «le calendrier d'un accord sur Bâle III se complique». La politique America's first de Trump qui impose à l'Europe des accords désavantageux pose problème. La commission des Finances du Sénat a d'ailleurs dénoncé ces accords comme étant «néfastes» pour l'économie européenne. Certains vont même plus loin et dénoncent «la guerre économique à travers les normes». Andreas Dombret, un des responsables de la banque centrale allemande, a lui aussi dénoncé «un mauvais accord». L'Europe et le Japon sont unis sur ce sujet et s'opposent désormais au Comité de Bâle. Le marché des produits dérivés est évalué deux fois par an par le FMI et le dernier bilan, en fin 2016, fait état de 482 900 milliards de dollars en notionnel, avec une valeur brute de marché de 14 986 milliards de dollars. Sachant que ce marché est concentré au sein de 10 établissements financiers, le risque systémique est plus que jamais présent.

Deutsche Bank par exemple a été sauvée in extremis par le Qatar et le Crédit Agricole -en grande difficulté- ne doit son salut qu'à la baisse drastique de liquidité disponible pour les clients, l'augmentation sans précédent de ses frais bancaires et au final une importante restructuration. Avec Bâle III, c'est tout le business model des banques qui doit être repensé, conséquence d'une baisse sans précédent de leur niveau de rentabilité !

En résumé, nous naviguons dans l'inconnu, car personne n'a intérêt à mettre en place des standards incompatibles avec des économies sous perfusion de dettes colossales. Toute l'économie américaine est ainsi soutenue artificiellement par la dette : son immobilier, son industrie des schistes en totale faillite, etc. Pedro Getey et Michael Reherz concluaient ainsi leur étude qui date de juillet dernier, Nonbanks AMD Lending Standards in Mortgage Markets. The Spillovers from Liquidity Regulation : «L'exemple nous montre que les établissements financiers non bancaires et les politiques LCR ont augmenté la propriété immobilière dans une période où le taux de propriété immobilière américain a été à des plus bas». Donald Trump a d'ailleurs signé deux décrets demandant l'analyse des effets de la loi Dodd-Franck. Que fera l'administration américaine ? Nous nageons dans l'inconnu...

J'avais d'ailleurs annoncé lors de la réunion du Comité des experts de l'ONU à Rabat en mars 2014 que le système financier allait s'effondrer à nouveau. J'avais suscité la désapprobation de l'ensemble de mes collègues et l'un des directeurs de l'OMC assis à ma gauche est même intervenu pour affirmer que tout était sous contrôle. Nous connaissons la suite : faillite de Banco Popular en Espagne et en Italie, faillite de Banca Popolare di Vicenza et Veneto Banca. Tout va tellement bien en Italie que BMPS (Monte dei Paschi di Siena) va être nationalisée. Les difficultés ne font que commencer...

Quel sera l'impact de Bâle III sur les banques africaines dans les années à venir ?

Afin de bien cerner le problème, je rappelle qu'en France, Bâle III coûtera près de 1 milliard d'euros. Concernant les conséquences, on pourrait se référer aux nombreuses «études» qui vont presque toutes dans le bon sens minimisant l'impact de Bâle III comme l'étude de 2010 de Weber. Les études du Macroeconomic Assessment Group (MAG) ainsi que ceux du Long-term Economic Impact Group (LEI) avancent un chiffre précis : «Le PIB reculera d'environ 0,19% pour chaque augmentation de 1 point de pourcentage du ratio de fonds propres des banques». Mais l'expérience nous apprend à nous méfier de toutes ces études sans parler du rapport de l'Institut of International Finance (IIF) qui dénonce un impact considérable sur l'économie mondiale avec la perte de 3 points de croissance.

Il faut en effet distinguer l'impact direct sur les organismes financiers et l'impact indirect que va supporter l'économie réelle par manque de financement. Pour le secteur bancaire, une étude globale des impacts n'a aucun intérêt puisque, comme le démontre l'étude de 2010 de Kashyap, Stein & Hanson, «les banques bien capitalisées font face à un coût du capital beaucoup plus faible». D'ailleurs, la Suisse -le grand pays des banques- est entrée en rébellion en demandant des règles assouplies pour les établissements régionaux.

Une étude du FMI auprès de 65 banques des pays du Golfe démontre par ailleurs que la finance islamique sera lourdement pénalisée, car les banques islamiques détiennent jusqu'à 40% de liquidités supplémentaires. Quand on connait le poids des pays du Golfe dans les circuits de financement africains, l'impact sera donc considérable. Aucune étude n'a été menée sur ces plans-là. La voie à suivre pour les dirigeants africains est donc de demander d'assouplir les règles pour les établissements régionaux.

Je rappelle que nous assistons en ce moment à une restructuration et surtout à une concentration sans précédent du système financier international et Bâle III accélère ce processus. Aux Etats-Unis, nous sommes passés de 13 822 banques commerciales fin juin 1987, à 4 982 à fin juin 2017, soit 8 840 disparitions, une réduction de 63 % en 30 ans !

Pour le Maroc par exemple, l'impact sera faible en apparence, car les institutions financières marocaines se sont très bien préparées. L'industrie financière marocaine devrait fait les bons choix stratégiques afin de se positionner comme acteur africain majeur. Cependant, je rappelle que les coûts les plus importants de la mise en place de Bâle III ne concernent pas uniquement les fonds propres -13%- mais aussi les risques de marché -30%. La répartition par chantiers effectuée par le Cabinet SIA Conseil avance ainsi les chiffres suivants : risque de marché, 30% ; risque de contrepartie, 23% ; stress tests, 17% ; fonds propres, 13% ; ratios de liquidité, 12% ; et rémunération, 5%.

Or, les MPME africaines ont des besoins en financement estimés par la BAD à 135 milliards de dollars. Face aux restructurations et à la baisse de liquidité, les établissements bancaires africains ne pourront faire face et c'est tout le développement de l'Afrique qui sera impacté.

De nombreuses études de l'ONU démontrent le poids énorme des MPME au Maroc et dans le reste de l'Afrique. Elles représentent 90% environ de l'activité économique mondiale. La solution, à mon avis, consiste à renforcer considérablement le fonds africain de garantie pour les petites et moyennes entreprises lancé en 2011 par la BAD et qui comprend l'Agence danoise pour le développement international (Danida, NDRL), l'Agence espagnole de coopération internationale pour le développement, ainsi que l'Agence française de développement (AFD). Des mesures nationales doivent aussi être prises et en particulier au Maroc où la situation des MPME reste fragile, afin de faciliter l'accès aux financements.

Bâle III va circonscrire les transactions de la banque de l'ombre (shadow banking) devenues trop importantes en terme de volume, sans contrôle, sans régulation, ni sanction. Selon vous, ces transactions seront-elles contrôlées et régulées par la banque centrale ?

Plus de la moitié des prêts hypothécaires aux Etats-Unis sont financés en dehors du système bancaire et en dehors de tout contrôle comme le démontrent les études de Pinto et Oliner (2015) et Wallace. En Chine, l'économie souterraine est un véritable fléau ! Je le répète, la mise en place de Bâle III pose d'énormes problèmes en termes de niveau de rentabilité et de business model. Avec l'accroissement des contrôles, le shadow banking s'est développé de façon inconsidérée. Selon le CFS, il pèserait 150% du PIB mondial, avec 92 000 milliards de dollars. Comment réguler de tels montants ? Le problème provient de nos économies qui sont littéralement sous perfusions de dettes.

Face à la chute inéluctable du dollar et de l'empire américain, l'économie de ce dernier est engagée dans une fuite en avant très inquiétante avec un niveau d'endettement de son économie bien plus important qu'avant la crise. La Chine ne va pas mieux. Le shadow banking n'est donc que la pointe immergée de l'iceberg et la montée en puissance de l'argent virtuel, une conséquence de la baisse drastique des liquidités. L'ampleur des problèmes qui se posent aujourd'hui dépasse et de loin le cadre financier...

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