Richard Arlove (ABAX) : « Maurice doit s’imposer comme la place financière africaine »

Née en 1992, la société mauricienne est présente sur 3 continents. Devenue indépendante du Cabinet PwC il y a 11 ans, ABAX accompagne les sociétés engagées dans les flux de commerce et d'investissement sur les marchés émergents. Avec 43% de clients sur le Continent, ABAX s'est résolument tourné vers l'Afrique. Rencontre avec Richard Arlove, son directeur général qui nous explique ce repositionnement stratégique.
Richard Arlove, directeur général d'ABAX

LTA : Créée il y a 25 ans à Maurice, que représente ABAX aujourd'hui ?

Richard Arlove : ABAX est une société de gestion qui compte aujourd'hui 275 collaborateurs essentiellement basés à Maurice, avec des bureaux à Johannesburg, Nairobi, Abidjan, Dubaï, Singapour, Londres et Maurice. Nous offrons des services en gestion de sociétés, en matière de gouvernance, de compliance, d'intégrité financière, car nous avons constaté un besoin d'information additionnelle chez nos clients qui cherchent à sécuriser leurs investissements. Nous gérons actuellement les actifs clients d'une valeur totale de 23 milliards de dollars pour des clients de types multinationales, fonds de private equity ou entrepreneurs.

Maurice peine à se départir de sa réputation de «paradis fiscal». Comment l'expliquez-vous ?

Ce n'est pas un paradis fiscal, mais l'environnement est favorable aux investisseurs, car nous sommes un centre financier. Il existe aussi des raisons historiques : notre système juridique date du XVIIIe siècle. Il est basé sur le Code civil de Napoléon, sur lequel sont venus se greffer la colonisation anglaise et son système de common law, ce qui nous confère un écosystème particulièrement attractif. Cela dit, aujourd'hui il est impératif de respecter les principes de bonne gouvernance. Nos clients ne vont pas prendre le risque d'être pris dans des conjectures illicites. C'est pourquoi toutes les réglementations de compliance sont les bienvenues, du moment que les normes internationales sont suivies et que tout le monde joue le même jeu ! Il faut bien sûr s'assurer que la législation ne tue pas le business, mais je pense qu'à l'avenir, les risques d'argent illicite se réduiront. Nous avons d'ailleurs fait le choix de ne pas nous implanter n'importe où : nous sommes à Maurice, Dubaï, Singapour, Londres et demain Paris peut-être... Ensuite, nous n'avons que 25 000 sociétés, pas des millions comme certains et notre économie ne repose pas sur le seul secteur financier...

De par sa stabilité économique, politique et sociale, ainsi que son cadre réglementaire, Maurice est aujourd'hui un Centre financier international (CFI) fiable et reconnu. Le pays a su développer un écosystème très favorable pour les investisseurs et sociétés qui souhaitent s'y implanter. L'île est ainsi première en Afrique au classement Doing business de la Banque mondiale. Elle abrite un centre d'arbitrage international et a su mettre en place un système de bonne gouvernance efficace. Dans ce domaine, elle est classée au premier rang sur l'indice Ibrahim de la gouvernance en Afrique (IIAG), et est parmi les premiers pays à avoir signé «L'Accord multilatéral entre autorités compétentes relatif à l'échange automatique des déclarations pays par pays» de l'OCDE en juin 2015.

 Justement, que représente le secteur financier à Maurice ?

Le secteur financier domestique et non domestique représente 12% du PIB et nous aurions tout à gagner à intégrer les services financiers dans chaque secteur d'activité. Etant optimiste, je pense qu'il sera bientôt l'un des moteurs de l'économie nationale. Tout évolue très vite. Dans les années 1970, le sucre représentait plus de 50%, voire 60% du PIB et aujourd'hui l'agriculture qui inclut le sucre, plafonne à 4%. La raison est simple : l'économie s'est diversifiée et avec l'industrialisation de l'île Maurice, le manufacturing constitue désormais 17% du PIB. Le tourisme, c'est 10% du PIB seulement -contrairement aux idées reçues- sans oublier l'économie bleue ou les technologies...

Votre relation privilégiée par des accords fiscaux avec l'Inde a évolué. Quelles en sont les répercussions ?

Il y a dix ans, les Indiens étaient nos clients les plus importants et aujourd'hui, ils représentent à peine 30% de notre chiffre. Et puis, nous avons fait un choix stratégique en considérant qu'on ne pouvait pas bâtir un business model qui ne reposait que sur des conventions fiscales. Maurice s'est réveillé en réalisant que le système en place ne pouvait pas tenir. Par ailleurs, nous sommes Africains, donc nous avons considéré que Maurice devait s'imposer comme la place financière africaine. Le changement relatif au traité qui lie Maurice à l'Inde ne nous fait pas souffrir outre mesure. Par ailleurs, quand on sait que le montant de la dette est 4 fois supérieur à l'equity en Inde, il nous reste d'énormes possibilités.

Aujourd'hui, pourquoi ABAX travaille-t-il essentiellement avec l'Afrique anglophone ?

Nous avons plus d'activité dans la zone anglophone, car elle comprend des Etats «solides» comme l'Afrique du Sud, le Kenya ou la Tanzanie. Ce sont des pays qui attirent de nombreux investissements. Néanmoins, l'important pour ABAX est de faire comprendre les opportunités à nos clients où que ce soit. D'ailleurs, 45% des investissements sont dirigés vers l'Afrique et sont répartis aux quatre coins du Continent. Mais il existe encore des freins, car les anglo-saxons ne sont pas habitués à l'environnement francophone en raison de la barrière linguistique et de pratiques différentes. Ils se tournent donc vers nous pour les accompagner,car nous avons l'avantage d'être bilingues et biculturels à Maurice. D'ailleurs, nous aidons également les francophones à s'implanter en Afrique anglophone. Aujourd'hui pour nous, il n'y a pas de barrière, uniquement des opportunités de croissance.

Comment expliquez-vous le glissement des flux Nord-Sud en flux Sud-Sud ?

Il y a une dizaine d'années, on observait surtout des flux qui partaient de l'Europe et des Etats-Unis vers l'Asie. Au fil des années, en raison de sa croissance et du leapfrog, mais aussi de l'amélioration de la gouvernance, l'intérêt s'est tourné vers l'Afrique. Aujourd'hui, ABAX enregistre de plus en plus de business intra-africain. Ainsi, des places comme le Nigéria ou le Kenya deviennent des capital exporting entreprises. De nombreux modèles de réussites africaines s'exportent sur le Continent. Parmi les exemples que l'on peut citer, il y a bien sûr Dangote et son association avec l'américain Blackstone ou encore le géant MTN.

Dans quelle mesure le ralentissement de la croissance en 2016 a-t-il impacté le secteur financier ?

C'était la «douche froide» du fait des risques de change, notamment au Nigéria en 2016, au Ghana en 2015 et un peu avant au Kenya. Le Nigéria a été littéralement «gelé», mais aujourd'hui, on voit que le Kenya repart. En revanche, les pays francophones n'ont pas rencontré ces problèmes...

Est-ce l'une des raisons qui justifient l'ouverture d'un bureau en Côte d'Ivoire ?

Il y a moins de risques en matière de change à Abidjan qu'à Lagos, Accra ou Nairobi, en effet. Mais il y en a d'autres et le principal en Côte d'Ivoire, c'est l'instabilité politique. Globalement, nous avons pris la décision d'être plus présents dans la région pour mieux cerner les attentes de nos clients et Abidjan s'est imposée comme le pôle économique régional. Le pays est un «business hub» très dynamique avec une réelle volonté de structurer son environnement.

Quels sont vos outils pour «juguler» les risques et favoriser les investissements ?

Nous sommes confrontés à plusieurs types de risques : celui qui concerne le business, mais aussi le risque pays, le risque fiscal ou le risque de change. On ne peut pas maîtriser tous les risques, mais nous aidons les entrepreneurs et les investisseurs à réfléchir non seulement aux risques, mais aussi aux vecteurs de valorisation. Au niveau du contrôle de change, il existe un risque qui est pris nécessairement dans le pays où sont localisées les activités, mais il peut être mitigé. Si vous domiciliez l'entreprise à Paris par exemple, vous pouvez réaliser une partie des transactions en euros à la place de la monnaie locale, ce qui limite le risque de change. Nous travaillons aussi beaucoup sur la propriété intellectuelle, car l'Afrique est une terre de créativité. On y invente de tout : de l'embouteillage des bidons d'eau au mobile banking !

Pour finir, vous avez lancé l'investment banking licence. Que va-t-elle changer?

C'est tout récent. Nous avons lancé cette licence il y a 6 mois pour favoriser les échanges intercontinentaux. Auparavant, vous ne pouviez par faire de l'investment banking sans être une banque. L'investment banking licence est beaucoup moins contraignante que les licences bancaires traditionnelles. C'est son principal avantage. Notre écosystème financier se structure peu à peu... Vous savez, le crowdfunding par exemple n'avait aucun cadre juridique à Maurice il y a moins de 2 ans ! Nous sommes confrontés au même défi en matière de Fintech. Il n'est pas simple de créer un environnement régulateur pour sécuriser les opérations numériques, mais nous créons peu à peu les outils nécessaires...

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