« L'agriculture est l'élixir du commerce intra-africain » [Ade Adefeko]

Libre-échange, commerce intra-africain, agriculture, énergie... Ade Adefeko, président de l'Association nigériane des chambres de commerce, d'industrie, des mines et d'agriculture (NACCIMA) et du Nigerian Export Action Group, livre dans cette interview sa lecture des enjeux économiques structurels de l'Afrique, avec un focus particulier sur son pays, le Nigéria.

LTA : Pensez-vous qu'il est réaliste de parler d'une zone de libre-échange à l'échelle du continent africain ?

Ade Adefeko : Il faut suivre avec intérêt ce qui se passe dans le monde concernant la montée du protectionnisme qui inquiète plusieurs experts. En Afrique, plusieurs petits pays craignent d'être «avalés» par de plus grands dans un contexte de libre-échange. Cette éventualité doit être sérieusement étudiée et évaluée. Mais la première étape pour que ce rêve puisse être réaliste, c'est d'abord d'assurer la libre entrée et sortie des Africains de leurs pays. Ensuite, il faudrait se concentrer sur les infrastructures logistiques, notamment des lignes ferroviaires transcontinentales, du nord au sud et de l'est à l'ouest.

Pensez-vous que l'agriculture peut constituer une locomotive pour le développement du commerce intra-africain ?

L'agriculture est la voie par excellence. L'agriculture appelle la croissance inclusive, qui ne peut se faire sans sécurité alimentaire. Je pense que c'est l'élixir pour la transformation du commerce intra-africain. Les pays africains doivent échanger intensément les produits agricoles entre eux. Mais pour cela, nous avons besoin de fortes interconnexions transfrontalières et des facilités accrues de circulation des personnes et des biens, en levant notamment les barrières de visas entre pays africains.

Dans ce sens, je compte énormément sur le projet de Passeport de l'Union africaine. Si les personnes ne peuvent se déplacer facilement d'un pays à l'autre, comment voulez-vous faire du commerce ? Dans ce registre, il faut mettre la politique de côté et se tourner vers le progrès et le développement.

Si l'agriculture peut constituer la voie par excellence du développement inclusif, elle reste pourtant peu génératrice de valeur ajoutée en Afrique...

L'agriculture africaine a effectivement besoin de valeur ajoutée. Prenons l'exemple du riz au Nigéria, qui en consomme entre 5,5 millions et 7 millions de tonnes, alors qu'il en produit environ 2,7 millions de tonnes. L'idée est qu'au cours des dix années à venir, le pays assure son autosuffisance en riz, et pour atteindre cet objectif, il faut mener toute une série de mesures vers l'amélioration de la valeur ajoutée. Il faut également mettre l'accent sur la productivité et la compétitivité, car parfois, il coûte plus cher de produire localement que d'importer des denrées. C'est là aussi où les synergies intra-africaines peuvent entrer en jeu, notamment à travers des collaborations sur des activités complémentaires, et pourquoi pas dans le cadre de clusters d'entreprises.

Quel équilibre faut-il cibler, selon vous, entre petits fermiers et grands groupes agricoles ?

Il faut raisonner à plus grande échelle, discuter de projets à une échelle sous-régionale et même impliquant différentes sous-régions. La question d'échelle est importante. Dans l'agriculture, les petits producteurs sont importants, mais les petits fermiers ne font pas à eux seuls bouger un marché. Lorsqu'un pays fait face à de grands problèmes, il a besoin de grands pas et de solutions géantes. Les OCP, Olam, Nestlé, ou Unilever sont incontournables vu leur influence sur les distributeurs, les grossistes et les détaillants. Mais la production agricole primaire reste importante pour n'importe quel marché. Chaque pays dispose au moins d'un produit avec un avantage comparatif.

En reprenant l'exemple au riz nigérian, les rendements sont aujourd'hui de l'ordre de 2 tonnes à l'hectare, alors que ces rendements peuvent atteindre 10 tonnes, avec deux récoltes par an, chez les grands producteurs structurés.

Pourquoi le Nigéria n'arrive-t-il pas à résoudre son problème d'approvisionnement en électricité, alors qu'il est un grand producteur de pétrole ?

Le problème de l'énergie au Nigéria est persistant depuis 40 ans et a été traité par mesures urgentes et sporadiques. Mais aujourd'hui, le pays est en train de mettre en place un plan à très long terme, avec une feuille de route pour le secteur énergétique. Il n'est pas possible de résoudre un problème aussi structurel par des mesures rapides.

Maintenant, il est vrai que cette problématique touche à tous les niveaux de l'économie. En prenant l'exemple des produits alimentaires, d'importants volumes pourrissent à cause justement de l'insuffisance ou de l'instabilité de l'approvisionnement électrique, notamment pour la réfrigération.

Le Nigéria dispose de prérequis pour devenir une véritable puissance exportatrice en Afrique. Comment le pays peut-il réussir ce challenge, au-delà de ses ressources pétrolières ?

Le Nigéria a été très dépendant des exportations de pétrole sur une longue période, et nous sommes en train de tenter une orientation vers d'autres secteurs. Le Nigéria est d'ailleurs leader en Afrique dans plusieurs activités. Mais pour être compétitif à l'export, il faut avoir un avantage comparatif solide.

Quelles sont les barrières à la compétitivité nigériane à l'export ?

Le Nigéria souffre d'un déficit d'infrastructures, allant de la logistique à l'énergie. Mais le pays reste la centrale, le générateur de l'Afrique, au vu de sa dynamique démographique et de ses ressources. Le Nigéria est la plus grande nation noire de la planète. Si vous êtes présent en Afrique sans l'être au Nigéria, vous n'êtes pas réellement présent sur le Continent. Aussi, les retours sur investissement dans le pays sont parmi les plus élevés au monde, affichant des taux entre 10% et 30%, et ce malgré le déficit infrastructurel et les faiblesses dans l'approvisionnement électrique.

Le Nigéria souffre d'une image d'insécurité. Pensez-vous que celle-ci est fondée ?

Il est vrai que beaucoup disent que le Nigéria n'est pas sécurisé. Mais dans les faits, c'est globalement un pays sûr. Il suffit de voir le trafic aérien quotidien vers le pays pour se rendre compte que les vols des différentes compagnies affichent plein.

Propos recueillis par Othmane ZAKARIA

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