L’Afrique, victime du message perverti ?

Au plus profond de l’histoire du Continent, et aux confluences de toutes les peurs de l’Homme africain se trouve le mythe du message perverti. Selon ce dernier, le créateur confie à un messager la mission de délivrer aux hommes un message de vie. Chemin faisant, ce dernier le pervertit et introduit la mort en échange. En punition, le messager est battu par les hommes et garde la lèvre fendue comme stigmate de sa trahison. Au-delà du mythe, l’Afrique souffre toujours de la perversion de ses messages et de la punition systématique du messager. Or, ceci pose la question essentielle de l’audibilité des décideurs publics dans un contexte de changements rapides et imprévisibles.
Abdelmalek Alaoui
Abdelmalek Alaoui, Editorialiste

Revenir à la construction mythologique de la mort en Afrique pour tenter d'en décrypter quelques maux contemporains pourrait, de prime abord, sembler une entreprise périlleuse. Toutefois, l'exercice trouve rapidement sa justification par le nombre de thèmes fondamentaux pour lesquels les Africains estiment qu'un mauvais procès leur est fait, parfois à juste titre.

Prenons par exemple la récente déclaration d'Emmanuel Macron sur le taux de fécondité en Afrique lors du sommet du G20. Cette dernière a généré une levée de boucliers quasi unanime, sur fond d'accusation de Malthusianisme, voire de condescendance à l'endroit du Continent. Certains ont même voulu y voir une répétition de la bourde monumentale sur l'Homme africain lors du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy. Or, au-delà de la formulation certes malheureuse, la question du dividende démographique en Afrique est loin d'être un sujet qui fait l'unanimité.

Considérée comme une formidable opportunité par les uns, la vitalité démographique africaine est également vue par un certain nombre d'experts comme un défi considérable, craignant l'incapacité à générer suffisamment d'emplois pour absorber la jeunesse entrant sur le marché du travail. Preuve en est, quelques semaines seulement après la déclaration du président français, c'est au tour des parlementaires de la CEDEAO d'affirmer leur volonté de limiter les naissances à trois par femmes d'ici 2030 . Au lieu d'apaiser la polémique, cette initiative de la CEDEAO n'a fait que la raviver, certains médias accusant l'organisation sous-régionale de se «plier» au diktat du président français.

Défiance vis-à-vis du messager

Or, dans le cas d'espèce, c'est précisément la défiance à l'endroit du messager -un étranger, de surcroît chef d'une ancienne puissance coloniale- qui nous a empêchés d'examiner avec l'objectivité nécessaire la qualité du message. La bonne question à se poser n'était donc pas : qui parle ? Mais plutôt : de quoi parle-t-on ? En effet, le sujet du dividende démographique ne nécessite-t-il pas d'être au centre de la conversation sur le développement en Afrique, tant il en impacte tellement d'aspects ?

Il en est de même avec les différents documents produits par des organismes internationaux. Chaque année, l'on assiste à un ballet immuable lors de la sortie des différents rapports de la Banque mondiale, du FMI, voire des notations pays des grandes agences. Dès la sortie d'un rapport, et pour peu que ce dernier soit un tant soit peu critique, le pays concerné met généralement en branle la machine à le discréditer, en récusant la méthodologie ou la qualité de ses rédacteurs. A contrario, si ledit document était positif, une dynamique d'auto satisfecit s'enclenche, répétant ad nauseam les bonnes phrases contenues dans le rapport. En clair, si le messager apporte un message de vie, il est bien accueilli. Tout autre message lui vaudra l'opprobre, à défaut de lui fendre la lèvre.

Il n'y a plus de modérateur, pouvoir et peuple sont face-à-face

Dans ce cadre, la question de l'audibilité des messages des décideurs publics en direction des populations est aujourd'hui au cœur du désamour entre les citoyens et leurs dirigeants. Souvent incapables de se remettre en question et de faire leur mue, les médias publics ne sont plus en capacité de relayer un message crédible et sont a priori considérés comme des missi dominici d'un message perverti. Le centre de gravité s'est donc déplacé peu à peu des médias publics vers les médias indépendants. Ces derniers, souvent sous-capitalisés, parfois instrumentalisés, et le plus souvent en situation d'autocensure, ont peu à peu cédé la place aux réseaux sociaux, considérés -à tort- comme plus fiables. Les digues ont peu à peu sauté, mettant les pouvoirs en prise directe avec l'opinion et réduisant à la portion congrue le rôle pourtant nécessaire des médias comme passeurs et décrypteurs de l'information. Ajoutons à cela la grave crise de modèle économique que traverse la presse, et l'on comprend mieux comment l'on est arrivé à un face-à-face sans modérateur.

Or, en  Afrique plus qu'ailleurs, les réseaux sociaux ont perdu leur double fonction d'origine, empruntant un virage dangereux. En effet, ils sont passés d'instruments de mise en relation d'anonymes et de chambre à écho de l'opinion à une zone d'émission primaire de l'information, créant de fait une distorsion grave de leur usage, puisque le contenu est désormais manipulable, transformable et partial. Plus grave encore, les réseaux sociaux, paradoxalement, ne semblent pas souffrir du syndrome du message perverti, alors même que c'est dans leur matrice que s'opèrent les plus graves distorsions de l'information.

Dans ce contexte, qu'est-il encore possible de faire pour réintroduire une certaine confiance entre les pouvoirs, les messagers et le peuple ? Celui ou celle qui aura la réponse à cette question pourra se prévaloir d'avoir su introduire en Afrique une démocratie véritable, fondée sur l'Etat de droit et la garantie des libertés individuelles. Vaste programme...

Abdelmalek Alaoui

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Commentaires 2
à écrit le 24/07/2017 à 21:26
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Ben le message de Macron est plus que clair me semble t'il! ma question te sens tu africain ou juste marocain....pour partir dans un délire dur sur le messager je sais pas quoi! On insulte ton continent et toi tu veux dévier le coup en philosophant s...

à écrit le 24/07/2017 à 9:53
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Si les chefs d'état étrangers s’inquiètent de la démographie africaine c'est parce qu'ils s'inquiètent pour l'immigration concernant leurs pays respectifs, il n'y a aucune volonté d'aider, de conseil, seulement un réflexe dicté par la peur, quel est ...

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