L’Afrique est-elle le plus grand paradis fiscal au monde ?

La question de la fiscalité et de l’impôt en Afrique est au cœur du débat public depuis les indépendances. D’un côté, l’on trouve des contribuables et un tissu économique généralement insatisfaits de systèmes fiscaux qu’ils trouvent inadaptés et très largement inspirés des législations de l’ancien colonisateur. De l’autre, les gouvernements africains tentent, non sans peine, d’élargir l’assiette fiscale afin d’augmenter leurs recettes. Entre les deux, un secteur informel pléthorique échappe encore et toujours à l’impôt. L’Afrique est-elle le plus grand paradis fiscal au monde ?
Abdelmalek Alaoui
Abdelmalek Alaoui, Editorialiste

L'examen de la structure des rentrées fiscales de la plupart des pays africains fait ressortir une grande tendance commune : une très petite minorité du tissu productif -entre 3% à 10%- contribue très majoritairement aux recettes de l'impôt sur les sociétés -de 80% à 95%- ce qui constitue une sorte de «loi de Paretto» fiscale. Dans les économies industrialisées, ce rapport est généralement inversé. En France par exemple, les grandes entreprises contribuent seulement à hauteur de 18% des prélèvements fiscaux nationaux.

Les grandes entreprises, «vaches à lait» fiscales d'Afrique S.A.

Sans surprise, en Afrique, ce sont les grands groupes et les filiales de multinationales qui constituent l'écrasante majorité de ces grands contributeurs aux budgets des Etats, aux côtés des recettes issues des taxes parafiscales et douanières. Ainsi, l'on retrouve généralement dans cette communauté de grands contributeurs fiscaux, les opérateurs télécoms, les grandes sociétés minières ou d'hydrocarbures, le secteur financier, ainsi que les grandes entreprises industrielles ou de services. Les PME et TPE sont, quant à elles, sous-représentées. En bref, les «gros» sont ceux qui paient le plus, ce sont les «vaches à lait» de Afrique S.A. Sans surprise, du fait de leur prédominance, ce sont également les entreprises qui sont le plus... contrôlées et redressées par l'administration fiscale, toujours en quête de maximisation de ses revenus.

Or, cette dynamique est non seulement fragile, mais elle peut également se révéler dangereuse. Dans les pays où les industries extractives sont dominantes, une chute des cours dégradera de manière brutale les rentrées fiscales issues des entreprises engagées dans ces secteurs, comme c'est le cas en Afrique centrale ou en Côte d'Ivoire depuis la baisse du cours du cacao, rendant les exercices de prévision budgétaire compliqués. De même, cette dépendance à un petit groupe d'entreprises en termes de rentrées fiscales leur donne paradoxalement une forte capacité de négociation du fait de leur poids économique.

Conscients que cette situation ne peut pas être maintenue dans le temps, de nombreux gouvernements africains ont affiché leur volonté d'élargir l'assiette fiscale en jouant sur deux leviers. En premier lieu, la mise en place de mécanismes qui permettraient d'intégrer une partie du secteur informel dans le secteur formel, espérant ainsi créer un cercle vertueux qui permettrait à la fois d'avoir plus de rentrées et plus de travailleurs jouissant d'un statut et d'une protection sociale. Le second levier, plus ambitieux et plus global, consiste à créer un meilleur climat d'investissement, afin de pousser les détenteurs du capital à le consacrer au tissu productif, au lieu de le placer. Or, dans les deux cas, les résultats ont été très mitigés, voire médiocres. Pour quelle raison ?

Oui, la plupart des entreprises africaines sont favorables à la désobéissance fiscale

Pour répondre à cette question, il convient de se poser la question du rapport fondamental qui existe entre les pouvoirs publics et le secteur privé, et des attentes mutuelles qui en découlent. De manière schématique, afin qu'il soit obéissant fiscalement, l'entrepreneur privé africain attend de l'Etat au sens large qu'il lui apporte six éléments clefs : les infrastructures, la sécurité, la santé, l'éducation, la cohérence et la justice.

Au niveau des infrastructures, de nombreux Etats africains ont certes consenti un effort important au cours de la dernière décennie, ce qui peut laisser à penser que cette première dimension est respectée. En revanche, sur les cinq autres paramètres essentiels, de graves lacunes persistent encore, ce qui pousse le secteur privé à ne pas jouer le jeu fiscal, estimant que l'Etat ne remplit pas sa part du pacte.

Le rétablissement de la confiance entre secteur privé et public, un préalable indispensable

En effet, dans de nombreux pays en Afrique, il faut payer pour sa sécurité, payer pour avoir accès aux soins et à l'éducation, ce qui crée une distorsion dans le rapport entre l'Etat et l'agent économique. Plus grave, sur les deux dimensions essentielles que sont la cohérence et la justice, la crainte d'être exposé à l'arbitraire est sans conteste la motivation première qui pousse à la désobéissance fiscale. En bref, de nombreuses entreprises africaines ne déclarent pas l'ensemble de leur activité économique parce que cela est cohérent avec le rapport qu'elles entretiennent avec les pouvoirs publics et leur besoin de se constituer des réserves en cas de crispation de leur relation avec ces derniers.

A partir de cette logique, l'on comprend également pourquoi la plupart des initiatives visant à intégrer le secteur informel dans le secteur formel ont été des échecs. Les facteurs clés qui pousseraient par exemple le gérant d'un atelier textile clandestin à se constituer en société, ou le manutentionnaire à créer son statut d'auto-entrepreneur ne sont pas remplis. En restant dans le secteur informel, les agents économiques clandestins estiment en effet disposer exactement des mêmes avantages que ceux qui sont de l'autre côté de la barrière. Pourquoi alors venir alourdir leurs charges ? Leur raisonnement, à défaut d'être patriotique, est cohérent.

Disons-le sans fard, ceux qui pensent que cette situation peut être résolue en renforçant le sentiment d'attachement à la nation de la part du secteur privé sont des utopistes. L'investissement se nourrit essentiellement d'une dimension immatérielle : la confiance. Lorsque cette dernière sera rétablie entre le secteur public et le secteur privé en Afrique, alors peut-être que notre continent cessera d'être le plus grand paradis fiscal de la planète.

Abdelmalek Alaoui

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