Pourquoi le 1er mai ne signifie pas grand chose pour l’Afrique

Et revoici le 1er mai, avec ses corollaires inévitables que sont le muguet et les manifestations de courants syndicaux, dont les images émailleront les JT des principales télévisions africaines ce soir. Pour autant, la fête du travail, qui se confond dans l’espace francophone avec la fête des travailleurs, ne veut rien dire ou presque en Afrique, tant ce concept importé résonne avec une ère industrielle en passe d’extinction. Sur le continent, l’enjeu sera désormais d’imaginer les nouveaux modes d’activité rémunérée, incluant l’entrepreunariat, et non de conserver les schémas classiques d’emploi et de « position ».
Abdelmalek Alaoui
Abdelmalek Alaoui, CEO de la Tribune Afrique

Au delà du folklore habituel, il n'est pas inintéressant de s'intéresser aux racines de la célébration du 1er mai pour pouvoir comprendre à quel point elle est en décalage avec les dynamiques à l'œuvre sur le continent . Après quelques célébrations préfiguratrices à la fin du XVIIIème siècle en France, c'est aux Etats-Unis que voit le jour pour la première fois le Labor Day en 1884, initié par les syndicats américains qui se donnent alors deux ans pour imposer la journée de huit heures comme standard national. C'est donc dans un monde fortement empreint de la 1ère révolution industrielle, où la cause ouvrière est centrale, que la fête du travail s'impose. Outre les syndicats, elle est portée par le courant anarchiste et elle s'étend peu à peu vers l'Europe à la fin du XXème siècle, où elle est depuis célébrée quasiment sans interruption, jusqu'à devenir dans de nombreuses nations une journée fériée.

L'Afrique n'a pas connu la 1ere révolution industrielle

L'Afrique, dans son immense majorité, n'a donc pas connu la genèse de la fête du travail, ni les courants idéologiques qui l'on inspirée. Il faudra attendre la seconde moitié du XXème siècle et les embryons d'industrialisation du continent pour voir s'organiser un mouvement syndical qui portera cette célébration et la poursuivra après le processus de décolonisation.

A l'époque, les syndicats sont presque toujours la colonne vertébrale des mouvements de libération, la force visible capable de mobiliser les masses et d'appeler à la grève générale, l'arme la plus efficace pour lutter contre le colonisateur .

C'est donc naturellement que l'on assiste à l'institutionnalisation de la fête du travail dans tous les pays décolonisés, du fait de la prééminence des mouvements syndicaux dans la vie politique. En soi, cela a constitué une avancée sociétale importante. Jusque là, le travailleur africain n'avait pas de moment de cristallisation pour porter ses revendications. Dans un continent qui passe d'un système à un autre, et durant les trente années de guerre froide qui suivirent, cette célébration de la fête du travail fut souvent un moment important.

Mais à l'heure où le monde affronte la quatrième révolution industrielle et son potentiel immense de destruction des emplois traditionnels et de création d'emplois nouveaux, l'Afrique est plus que jamais exposée au risque d'être asynchrone avec la marche du monde.

Le continent est encore beaucoup trop focalisé sur les notions d'emploi et de « position », à l'heure où l'humanité se tourne vers l'activité et l'entrepreunariat. En clair, nous sommes beaucoup trop attachés à la vision qui voudrait que l'accès à l'emploi signifie automatiquement la stabilité et la pérennité, et nous n'avons pas encore intégré le fait qu'un nouvel entrant sur le marché du travail en 2017 changera d'emploi au moins...7 fois au cours de son existence.

C'est là un enjeu essentiel pour le continent, car les méthodes traditionnellement employées par les Etats africains pour stimuler l'emploi, tel le recours à la commande publique pour les infrastructures ou la création de postes de fonctionnaires ont montré leurs limites. Si elles ont pu jusqu'à aujourd'hui contenir la « cocotte-minute » sociale, elles ne le pourront plus du fait de la pression combinée de la démographie et de la globalisation.

Les Etats en mesure de répondre efficacement aux nouveaux défis du travail sont ceux qui sauront effectuer une réforme profonde de leur cadre de gouvernance afin de stimuler le secteur privé et lui insuffler la confiance pour investir et entreprendre. Pour cela, il faudra affronter un obstacle de taille qui nécessite une volonté politique forte : la remise à plat des codes du travail et des systèmes de protection sociale.

Remettre à plat les codes du travail et les systèmes de protection

Dans ce monde en mutation profonde, il devient en effet tout à fait clair que les codes du travail hérités de l'ère de la « Fête du Travail » ne pourront plus perdurer dans leur forme actuelle. De même, les systèmes de protection sociales basés uniquement sur les cotisations du travail sont également fragilisés, et menacent les équilibres macro-économiques à très court terme.

En Afrique plus qu'ailleurs, il faudra donc imaginer les nouveaux modes d'activité rémunérées qui se substitueront aux notions classiques de travail et d'emploi, tout en assurant un filet social minimum qui permette à chacun de vivre dans la dignité. Ce ne sera pas chose aisée.

 En effet, chaque année, 12 millions de jeunes africains entrent sur le marché du travail, et seulement 3 millions d'entre eux intègrent le secteur formel. C'est donc d'abord en pensant à eux que nous devrions, sur le continent, renommer la « fête du travail » par la « fête de l'activité rémunérée ».

Abdelmalek Alaoui

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