Nous, Africains, voulons Blackrock et le Manioc

A la faveur d’Emmanuel Macron, le débat sur la colonisation s’est invité brutalement dans la campagne présidentielle française, déclenchant naturellement une vague de débats en Afrique quant à la classification de cette période. Pourtant, au delà de la chamaillerie juridique et sémantique -cristallisée par l’élection française- une toute autre partie bien plus essentielle se joue, celle de notre rapport, Nous, Africains, au reste du monde.
Abdelmalek Alaoui

Les ressorts de la relation complexe que nous entretenons avec la période coloniale sont connus. Pendant longtemps, les élites africaines, qu'elles soient administratives ou économiques, ont eu comme centre de gravité et comme référence statutaire Paris ou Londres. Normal, les écoles françaises ou anglaises les ont généralement formées, leurs habitudes de consommation se sont ancrées autour des Champs-Elysées ou de Jermyn Street, et leurs enfants, une fois le bac en poche, sont envoyés poursuivre leurs études chez l'ancien colonisateur.

Les gouvernants africains, quant à eux, en fonction de l'agenda poursuivi et de la conjoncture, ont été tour à tour proche des anciennes puissances coloniales, ou s'en sont éloignées, pour peu que ces dernières s'aventuraient à prendre position sur des affaires internes.

Mais les choses sont en train de changer. De manière irréversible.

Il y a encore peu, personne ou presque ne s'offusquait d'être accueilli à une conférence internationale avec l'inévitable formule « nos amis africains », prononcée avec une condescendance mâtinée de puissance. Désormais, nombre de dirigeants africains, sans en prendre ombrage publiquement, rigolent doucement de voir les représentants des anciennes puissances coloniales empêtrés dans des schémas anciens, cédant De Facto la place à de nouveaux entrants, plus pragmatiques et moins écrasés par une histoire commune douloureuse.

Peut-être le véritable enjeu est-il là. La colonisation physique a laissé la place à la colonisation mentale, que l'on cachait pudiquement sous le voile de la « communauté de destins », ce qui favorisa une position dominante des anciennes puissances sur le terrain économique africain. Or, les digues de ce que certains appellent la « néo-colonisation économique », sont en train de sauter l'une après l'autre, ne résistant pas à la pression grandissante de la globalisation. De surcroit, peu à peu, une nouvelle génération de dirigeants est apparue en Afrique, plus ouverte sur le monde, diversifiant ses destinations et ses partenaires, et vivant de manière décomplexée ce nouveau champ des possibles.

Les « Neopats », fers de lance de la rénovation africaine ?

Un exemple emblématique de cette tendance de fond est l'influence grandissante des « Neopats » en Afrique, en passe de devenir une force économique de premier plan.

Ces nouveaux expatriés d'origine africaine, souvent nés en occident et formés dans les meilleures écoles, ont fait le choix de venir s'installer sur le continent, non pas en tant que cadres de multinationales, mais pour créer des projets entrepreneuriaux ou s'investir dans le développement de leurs pays d'origine, y voyant une terre d'opportunité plutôt qu'un territoire de désespoir.

Certains ont connu une réussite emblématique, à l'image du sénégalais Kabirou Mbodje, fondateur de l'entreprise de Fintech Wari, qui vient de racheter - pour 129 millions de dollars US- l'opérateur Tigo au Sénégal , jusqu'alors propriété de la multinationale d'origine américano-suédoise Millicom.

Cette dynamique de « re-empowerment » est à amplifier, car elle arrive à un moment crucial pour l'avenir de l'Afrique, où la tentation du repli est grande, et où les tensions budgétaires sur fond de baisse du cours des matières premières pourraient conduire certains à jouer la carte du nationalisme exacerbé. Elle doit, bien entendu, être accompagnée par une politique de réformes ambitieuses afin d'améliorer le climat des affaires et mettre à niveau la sécurité juridique.

Blackrock et le Manioc

Mais au delà de cela, ce moment particulier de notre histoire nécessite une prise de conscience que Nous, Africains, sommes entrés dans une phase où il n'est plus question d'opposer notre histoire à notre futur. Il nous faut conjuguer, de manière aussi efficace que possible, les atouts dont nous disposons avec ce que le reste du monde nous propose. Pour cela, nous devons être en position d'attirer les plus grands investisseurs de la planète - à l'instar de l'américain Blackrock- tout en affichant fièrement nos racines et nos valeurs, dont le Manioc est un avatar emblématique.

Nous voulons Blackrock et le Manioc. Et il est possible de les obtenir.

Abdelmalek Alaoui

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Commentaires 7
à écrit le 16/06/2017 à 19:12
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L’association Agence de Développement des Entreprises indépendantes à l’International a été créée pour aider les petites entreprises françaises à entrer en contact avec des entreprises africaines dans le cadre d’une croissance partagée et qui s’ap...

à écrit le 01/03/2017 à 19:04
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Bien compris

à écrit le 01/03/2017 à 10:26
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je voudrai juste vous dire un grand merci pour votre analyse qui me donne du courage

à écrit le 01/03/2017 à 7:54
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Tre super et j'aime tro même voilla La Afric es lumanité

à écrit le 27/02/2017 à 22:34
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Dommage. L'article commençais bien. Les anciens colonisateurs remplacés par pires : chinois, indiens, américains bien plus coriaces et tout aussi corrompus que nos élites... Ensuite l'appétit de nos élites pour avoir leur part du gâteau en oubliant...

à écrit le 27/02/2017 à 17:31
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Je partage votre analyse mais l'historique assez court de l'existence des nouveaux apparatchiks africains peut faire craindre un retournement de situation plutôt défavorable. D'autant que de nombreux dirigeants actuels de l'Afrique veulent également ...

à écrit le 27/02/2017 à 17:18
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