Drame d'Eséka : l'élite africaine s’interroge sur les leçons à tirer

Dans le déraillement d'octobre dernier au Cameroun, le groupe français Bolloré a sérieusement été mis en cause. Et la réaction de la société a été sans manières. Quelques semaines après, alors que la blessure est encore ouverte, une partie de l'élite africaine en vient à se demander si les dirigeants des Etats ne devraient pas relire leurs accords avec les sociétés étrangères, notamment françaises, basées chez eux.

Le drame d'Eséka a éveillé chez plusieurs personnes, des sentiments d'hostilité vis-à-vis des sociétés étrangères. Beaucoup se demandent si on ne doit pas revoir les accords. Jusqu'à ce jour, l'accident du Cameroun n'a pas connu d'explication officielle. Mais les pistes exploitées le rendent encore plus triste. Le système de freinage qui n'aurait pas répondu, dû à une incompatibilité entre les locomotives opérationnelles et les systèmes de freinage, ce dont le groupe aurait été au courant ; la surcharge dans le train qui était bondé de passagers ou encore la vitesse de croisière du train, sans parler de l'état général du convoi, ce sont là des pistes exploitées pour le moment. « Accuser le groupe français, oui c'est possible que ce soit par leur imprudence ou leur manière de gérer les choses, croyant que ces populations là, n'ont pas droit à de bonnes choses.  J'entends par là qu'il y a des choses que ces entreprises font ici et qu'elles ne feront jamais chez elles en Europe ou ailleurs », s'est offusqué Gérard Adja, vice-président du parti Obuts au Togo. L'homme politique a expliqué que ces trains accidentés du Cameroun et de la Côte d'Ivoire ne seraient même pas dans le circuit en France. « Pourquoi nous acceptons ce genre de chose chez nous ? », s'est-il demandé

Au Togo, pendant l'une de ses visites, Vincent Bolloré était monté dans un train à l'aspect apparemment neuf avec Faure Gnassingbé, le chef de l'Etat Togolais. Le peuple togolais a alors cru que le secteur ferroviaire allait être relancé. Quelques années plus tard, on se rend compte que le train de ce jour là n'avait subi qu'une peinture et que c'était du ''saupoudrage'' à des fins politiques, pour reprendre exactement la presse togolaise.

Dans le cadre de la construction du troisième quai, le groupe français avait fait un devis de plus de 300 milliards de Fcfa. « Surfacture », a rétorqué Nicolas Lawson, président du Parti PRR. L'ancien candidat à l'élection présidentielle n'a pas pu accepter que la construction du troisième quai coûte bien plus que la construction du port autonome du Cameroun par exemple, qui selon lui aurait coûté bien moins de 200 milliards.

Le groupe Bolloré est aujourd'hui de moins en moins accepté par les populations en Afrique. La société traîne finalement trop de casseroles. Pour l'écrivain camerounais Eugène Ebodé, Grand Prix littéraire d'Afrique noire 2014 et Prix du roman historique Jeand'Heurs 2015, professeur documentaliste à Mayotte, le groupe est devenu plus puissant que les Etats. « Cette catastrophe ferroviaire montre le cynisme du capitalisme et la faiblesse des gouvernants. Plus prosaïquement, les firmes mondialisées disposant d'un pouvoir de quasi-Etat dans l'Etat ne jouissent-elles pas, du fait de l'inévitable collusion entre les sphères économiques et publiques, d'une impunité de fait », a-t-il analysé. Selon lui la ruée des voyageurs vers les gares aurait dû conduire les opérateurs de Camrail à doubler les wagons, faisant passer le convoi de neuf à dix-sept rames. « Il faut civiliser les firmes mondialisées », argue-t-il.

Il serait bien temps de relire les accords signés il y a des années. « Si on veut investir en Afrique, qu'on prenne toutes les dispositions comme pour un investissement en Europe ou aux Etats-Unis. On ne fait pas les choses à moitié de ces côtés là. Il ne faudrait pas que chez nous ici on considère qu'il n'y a pas de contrôle ou bien dans la signature des contrats, on ne met pas véritablement dans les enjeux, les intérêts des populations mais plutôt les intérêts personnels de ceux qui doivent signer ces contrats. Il faut faire les choses suivant les normes », a suggéré Gérard Adja.

Le drame d'Eséka inoubliable

79 morts, 600 blessés, c'est le bilan de l'accident. Un événement que La Tribune Afrique a couvert avec un relevé en détails de la situation qui a prévalu. C'était le 21 octobre 2016. Un vendredi noir. Un train de Camrail, dont le principal actionnaire est le groupe Bolloré, a dérayé. Les fumées noires se sont envolées vers le ciel, l'odeur du brûlé donnait la nausée, et que dire des corps éparpillés au sol ? « Il y a des cadavres de femmes, d'enfants. Il y en a beaucoup », a témoigné un employé de Camrail se trouvant sur place. L'image a marqué. Ce sera difficile de l'oublier. D'ailleurs qui peut oublier cet obséquieux paysage qui a plongé le Cameroun tout entier dans la tristesse et dans la désolation ? Le groupe Bolloré sans reconnaître quoi que ce soit, a demandé à tous de faire confiance aux enquêtes et d'attendre la fin des conclusions. Dans la foulée, une indemnisation de 2.300 euros a été décidée pour les victimes. L'empire français communiquera que « cette enveloppe de 1 500 000 FCFA (un peu moins de 2 300 euros, ndlr) par victime n'est pas une indemnisation pour préjudice mais une prise en charge des frais d'obsèques des passagers ayant perdu la vie dans ce terrible accident ».

Un mois plus tôt, un accident en Côte d'Ivoire, impliquant encore le groupe Bolloré avait aussi fait beaucoup de victimes. Un pont sur une ligne ferroviaire que Bolloré exploite s'était effondré sous le poids d'un train de marchandises.

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