Lionel Zinsou : « L’initiative du Togo rend service à un milliard d’Africains »

L'ancien premier ministre du Bénin, expert international en finance, Lionel Zinsou a pris part au sommet sur la sécurité maritime de Lomé à la tête d’une délégation de la Fondation Africa-France. Pour lui, la confiance entre les Etats est le palier de base de ce Sommet, premier du genre sur les crimes en mer dans le continent. Il livre en exclusivité à La Tribune Afrique son regard expert sur l’enjeu de la sécurité maritime.
Lionel Zinsou, ancien premier ministre du Bénin, expert en finance a mené une délégation de la Fondation Africa-France lors du Sommet de Lomé sur la Sécurité Maritime

LTA : Qu'est-ce qu'on peut retenir des diverses communications sur l'espace maritime et sa sécurisation ?

Lionel Zinsou : On peut retenir quelques mots qui m'ont frappé. D'abord, créer des liens de confiance entre les hommes et les femmes qui sont les spécialistes de ces sujets. Spécialistes militaires, spécialistes de la police et aussi spécialistes de tout ce qui est économique. Puisque, les crimes en mer sont le fait de gens qui profitent du passage des frontières pour aller se réfugier ailleurs. Si on veut les contrer il faut qu'on échange le plus d'information possible ; avec les moyens les plus modernes, les moyens de renseignements, les moyens satellitaires, les drones, etc. Mais tout ça ne fonctionne que lorsqu'il y a une grande confiance entre les agences qui s'en occupent. Et donc le mot de confiance est celui qui est revenu le plus pendant la table-ronde qui réunissait plus de 25 experts internationaux, africains et mondiaux. C'est essentiel d'échanger des informations sur la piraterie, sur le narcotrafic, sur le trafic d'être humain et sur la pêche illicite. Quand on pille nos eaux nationales, il faut pouvoir échanger les informations, parce que les criminels passent de pays en pays et nous échappent très vite. Au cours du sommet, on a entendu des exemples de l'Afrique de l'est et de l'Afrique centrale qui fonctionnent très bien. Mais par contre en Afrique de l'ouest, on est encore un tout petit peu fragmenté et éparpillé. On est en train de faire de grands progrès, mais il faut aller plus loin. Mais la vraie question est de savoir si l'Afrique est crédible quand elle parle de sa mobilisation contre les crimes en mer ?

Justement, que doit faire l'Afrique pour être crédible en matière de sécurité ?

Sur cette question, les Etats africains doivent se réunir pour parler d'une seule voix. La conférence de Lomé est la première qui rassemble autant de participants de la société civile, autant d'entreprises qui ont des intérêts complètement alignés avec les Etats. Et ça, c'est une façon de faire un plaidoyer pour l'Afrique. A Lomé nous nous sommes dit : on s'est beaucoup occupé de la terre maintenant occupons-nous de de la mer ! Et dans la mer l'Afrique a un potentiel qui est aussi important que sur terre. Nous devons oser regarder la mer et voir combien c'est important pour nos économies.  Dans certaines de nos traditions, on ne regardait pas la mer. On lui tournait le dos. C'est un potentiel énorme. Il y a des gens qui veulent nous frustrer de ce potentiel. Ces gens sont très bien organisés et très riches. Les narcotrafiquants sont riches à des dizaines de milliards alors que nous ne sommes que des Etats qui ne sont pas aussi riches. Avec un partenariat bien définis avec les partenaires de l'Afrique, on va pouvoir gagner sur le crime en mer et en faire probablement un grand potentiel de développement. C'était ça le message de Lomé. Les gens qui se sont réunis, si j'ai bien compris, ont travaillé autant en dehors des sessions, dans les couloirs, dans les hôtels, que sur ce site pendant les Side Events. Il faudra recommencer. C'est très important, parce que tout d'un coup, on a mis en lumière quelque chose qui est à la fois un problème, mais qui est surtout un horizon, une nouvelle frontière formidable pour l'Afrique. Donc, je pense que ce qui a été fait à l'initiative du Togo, rend service à un milliard d'Africains.

Lionel Zinsou 2

Vous avez parlé de la confiance. Comment est-ce qu'à votre avis, cette confiance pourrait être instaurée entre les Etats ?

Je parle surtout la confiance des hommes et des femmes qui sont chargés de ça. Ceux-là qui sont tous réunis autour de nous. Et par là même la confiance entre les autorités publiques, les militaire et les chefs d'entreprises. C'est une affaire d'homme et de femme qui doivent échanger et faire de cette question un enjeu important pour notre Afrique. C'est ça qui s'est joué à Lomé. Parmi les Etats, certains sont hostiles les uns aux autres et c'est résiduel en Afrique aujourd'hui. Ils sont maintenant confrontés à des ennemis communs. Ces derniers, si on y prend garde, sont plus organisés, plus riches que beaucoup de nos Etats. Et donc c'est pour ça qu'il faut bien qu'on collabore contre ces ennemis non conventionnels. D'une certaine manière, ils se nourrissent du fait même que le revenu a augmenté en Afrique. Rassemblons-nous. Comme ça on libérera tout le potentiel économique et social de la mer.

Pensez-vous que les Etats arriveront à freiner les actes illicites dans le Golfe de Guinée comme cela a été fait dans la corne de l'Afrique ?

La piraterie régresse. Elle a été quasi vaincue dans la corne de l'Afrique. Dans cette zone, elle empêchait la population de vivre normalement. Donc aux larges du Djibouti, de la Somalie, aux côtes de l'océan Indien, la coopération internationale a remporté une bataille. On n'en parle pas assez. Maintenant la piraterie existe aussi dans le golfe de Guinée parce que c'est une part énorme des approvisionnements de beaucoup de marchandises, dont entre autre, le pétrole de l'Europe et des Etats-Unis. Elle a tout à fait régressé à l'est et au centre de l'Afrique, il faut maintenant qu'elle régresse aux larges de nos côtes à l'ouest. Et chaque fois que vous avez des déclarations communes -Togo-Côte d'Ivoire, Togo-Bénin, Bénin-Nigeria...- on remporte toujours des victoires. Ce qui fait que nous n'avons pas recensé un acte de piraterie depuis 2014 à la suite d'actions combinées aux larges des côtes du Bénin par exemple. Donc ça paye chaque fois qu'on coopère. Mais la piraterie restera un ennemi difficile.

Que peut faire la fondation Africa-France que vous amenez à Lomé, pour accélérer tout ce processus ?

Africa-France est un rassemblement d'entreprises africaines et françaises. On a proposé ces jours-ci, pendant cette conférence, qu'Africa-France réunisse le secteur privé, les entreprises et organise des formations communes avec les militaires et les autorités publiques, pour que les cadres du privé qui s'occupent du transport maritime et de toutes les activités économiques portuaires et logistiques, aient un intérêt commun et un langage commun. Qu'ils se parlent et qu'ils s'enseignent les uns les autres. Donc, on essaye. Les douaniers, les gens des marines nationales, avec des armateurs, avec des manutentionnaires des ports, avec des transporteurs terrestres, parce que la mer est la porte d'entrée, et la logistique terrestre la prolonge. Si vous prenez la drogue comme exemple, nous ne sommes qu'un lieu de passage vers l'Europe. On entre par la mer en Afrique de l'ouest, on ressortira en méditerranée et au passage on facilitera la vie des terroristes. Donc la course-poursuite se prolonge sur terre. Et pour cela, il faut que toutes les entreprises soient au bon niveau d'information. Donc à Africa-France, on vient de décider que nous allions apporter notre contribution à cela. Et il y a beaucoup d'entreprises françaises compétentes en ce domaine. Mais Africa-France c'est aussi beaucoup d'entreprises africaines, elles se sont réunies il y a quelques semaines, elles étaient 1.800. Et sur les 1.800, le tiers avait des activités en rapport quelconque avec la mer. Le sommet de Lomé avec la Charte qui a été signé est un grand atout pour tous.

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