100 jours à la tête de la Gambie et pas l'ombre d'un changement pour Barrow

Propulsé sur le fauteuil présidentiel presque par hasard, Adama Barrow a passé ses 100 jours à la tête de la nouvelle Gambie post-Jammeh. Mais pour l’heure, aucune réforme du tombeur de l’homme fort de Banjul n’est enclenchée, au risque de faire regretter les deux décennies du règne fantasque de Jammeh, l’homme au boubou blanc, aujourd’hui exilé en Guinée équatoriale. Bilan d'un parcours de 100 jours.
Ibrahima Bayo Jr.
Le 6 avril dernier, le Parti démocrate unifié (parti de Barrow) avait remporté la majorité absolue aux élections législatives avec 31 sièges sur 53 à l'Assemblée.

Une crise post-électorale hitchcockienne, un président élu réfugié dans un pays voisin dans lequel il prêtera serment dans l'enceinte exiguë de l'ambassade gambienne, un retour triomphal au bercail et un président déchu contraint à l'exil, un canon de la CEDEAO sur la tempe.

Lorsqu'il est investi ce 18 février, lors d'une cérémonie faste, Adama Barrow, l'homme qu'on n'attendait pas, incarne l'espoir d'une nouvelle Gambie débarrassée de 22 ans de règne du fantasque Yahya Jammeh. Cent jours après cette investiture, le nouveau président, qui promettait de ne rester au pouvoir que trois ans, a du mal à rentrer dans le costume. Dans les allées du pouvoir, il se heurte difficilement à la réalité de gouverner.

Une bombe sociale pas encore désamorcée

C'est la mère des batailles pour Adama Barrow. Lorsqu'il prend le pouvoir, celui-ci est confronté à une Gambie où 50% des 2 millions d'habitants sont pauvres et le taux de chômage culmine à 30%. Face à la bombe sociale, le nouveau président promet de mettre en place un comité d'experts devant plancher sur un plan triennale (2017-2020) pour restructurer et diversifier l'économie gambienne qui ne se nourrit que de l'agriculture et des recettes touristiques. Cette commission n'a toujours pas rendu copie...

En attendant, les caisses de l'Etat supposées vides ont été compensées par un gel des avoirs de Yahya Jammeh détenus en Gambie. Il faut aussi y ajouter le cadeau financier de l'Union européenne, qui, après avoir rompu son appui financier sous Jammeh, a débloqué 225 millions d'euros en guise d'aide à la reconstruction de l'économie de la Gambie. Mais la machine économique ne démarre toujours pas.

Aucune réforme en politique intérieure

Sur le plan de la politique intérieure, la coalition qui a porté Barrow au pouvoir a volé en éclats sur fond de divergences lors de la formation des listes électorales. Un épisode qui n'a pas empêché le président d'obtenir la majorité au parlement. Mais l'on s'interroge sur l'utilité de régner sur le Reverend Pye Lane Building, l'Assemblée nationale, si aucune réforme du président n'y a été à ce jour introduite.

Comment conduire une réforme, si l'équipe présidentielle est encore incomplète ? Le poste de vice-président est vacant depuis la nomination de l'équipe gouvernementale. Adama Barrow souhaite y porter Fatumata Jallow Tambajang, bombardée en attendant ministre en charge des Affaires féminines. Sa nomination annoncée avait été jugée anticonstitutionnelle, car cette ancienne conseillère du premier président de la Gambie a été rattrapée par la limite d'âge pour le poste.

La Gambie repositionnée sur le plan international, l'ombre de Macky Sall

A l'international, la Gambie est revenue sur l'échiquier et dans les radars des investisseurs internationaux. Sous Adama Barrow, le pays a renoncé à la «République islamique» de Jammeh pour devenir laïc. Il a aussi réintégré la Cour pénale internationale (CPI), dirigée par l'ancienne ministre de la Justice de Jammeh, Fatou Bensouda, et le Commonwealth que l'homme au boubou blanc qualifiait de «néocolonialistes». Dans le même mouvement, les institutions internationales bannies ou interdites sous Jammeh ont marqué leur grand retour.

Le rôle prépondérant du Sénégal en Gambie ne relève pas que d'un fantasme. Avec un interlocuteur plus flexible que Jammeh, Macky Sall, perçu comme l'éminence grise de Barrow, se hâte de construire un pont reliant les deux pays pour faciliter le passage des automobilistes sénégalais pour désenclaver le sud du Sénégal par la route. Le président sénégalais compte aussi jouer allègrement son joker gambien pour résoudre la question de la Casamance, région rebelle du sud, soutenue autrefois par la Gambie et qui veut acter la sécession avec Dakar. L'ombre de Macky Sall plane sur la politique gambienne au point que certains font de la Gambie, la «quinzième région du Sénégal» et d'Adama Barrow, le «préfet de Macky Sall».

Restaurer l'autorité de l'Etat et justice transitionnelle, épines sous les pas présidentiels

La restauration de l'autorité de l'Etat est une des priorités d'Adama Barrow. En dépit d'un changement de nom de la National Intelligence Agency (NIA, les services secrets sous Jammeh) en State Intelligence Service (SIS), le nouveau président n'a toujours pas rejoint la State House, le palais présidentiel. Officiellement, ce sont les mines laissées par l'ancien locataire qui empêcheraient le déménagement de l'équipe présidentielle. Officieusement, les mauvaises langues parlent de «déminage mystique».

Confiné dans sa résidence à Taf Brufut, Adama Barrow s'accroche encore à la protection de la force de la CEDEAO dont il demande la prolongation de la mission pour des raisons de sécurité. En dépit d'un toilettage de l'armée, Barrow vit encore sous la hantise d'un coup d'Etat par un fidèle de l'ex-président.

Le temps presse en tout cas pour le président gambien, plus occupé à la justice transitionnelle avec l'exhumation du «puits des cadavres» de Jammeh -qui devrait être laissée aux tribunaux- qu'à la relance d'un pays. Les Gambiens seront vite lassés de ne pas voir que le vent de changement qui a apporté avec lui la liberté d'expression -et même de vivre - se traduire en changement dans les poches, le panier de la ménagère et la transformation infrastructurelle.

Le risque est grand que ceux qui lui lançaient des vivats à son retour triomphal, ne lui jettent des pierres de mécontentement, voire de déception. Adama Barrow confirmerait alors ce proverbe gambien : «Le monde a beau changer, le chat ne pondra jamais».

Ibrahima Bayo Jr.

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