Arrestation de terroristes présumés : faut-il s’inquiéter pour le Sénégal ?

Jusque-là, le Sénégal a été épargné de la fièvre djihadiste. Aucun attentat, aucune attaque n'est venu encore troubler le sommeil de ce pays laïc, à l'islam modéré, historiquement confrérique et qui a renforcé sa sécurité face au terrorisme qui a frappé dans les capitales voisines. Rassurés mais inquiets, les Sénégalais ont découvert avec stupeur, l'arrestation de deux terroristes présumés, probablement liés aux attentats de Grand-Bassam en Côte d'Ivoire. Faut-il s'inquiéter de voir la menace terroriste s'étendre au Sénégal. Eléments de réponse...
Ibrahima Bayo Jr.
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Le sujet barre la Une de plusieurs médias du pays. A Dakar, c'est la stupéfaction lorsqu'un communiqué de l'Agence de presse sénégalaise (APS) fait écho de l'arrestation à Dakar de « deux présumés djihadistes maliens ». La redoutable division des investigations criminelles (DIC), rattachée à la police judiciaire sénégalaise, qui a procédé à l'arrestation, a auditionné les deux hommes quelques heures après leur arrestation, ce jeudi 23 février dans la capitale du pays.

Communauté de renseignements entre divisions de la police

Dans le détail, c'est une information obtenue « dans le cadre de la communauté du renseignement mise en place depuis l'avènement de la menace terroriste [au Sénégal] » qui a mis la puce à l'oreille de la DIC. Cette dernière a procédé à l'arrestation d'un ressortissant malien de 43 ans dans une auberge, située sur la petite côte à 1H30 de route de Dakar, qu'il s'apprêtait à quitter aux environs de midi (heure locale), après un séjour d'un mois.

« Il ressort déjà des premiers éléments d'enquête que ce dernier (Ould Sidi Mouhamed Sina) était formellement le contact d'Ould Nouini, planificateur des attentats de Grand-Bassam (Côte d'Ivoire), et avait un contact avec Moustapha Diatta [de nationalité sénégalaise, NDLR], terroriste présumé précédemment arrêté par la DIC », précise le communiqué relayé par l'APS.

Pour le contexte, le 13 mars dernier, une dizaine d'hommes armés de kalachnikov ont fait irruption à la station balnéaire et touristique de Grand-Bassam, à 40 kilomètres de la capitale ivoirienne Abidjan. La station balnéaire, très prisée des riches ivoiriens et des touristes a été le théâtre sanglant d'un massacre lorsque les assaillants ont ouvert le feu sur les clients de trois établissements hôteliers, attablés face à la mer et sur les baigneurs de la plage. Bilan de cette première attaque d'ampleur sur le sol ivoirien, revendiquée plus tard par Aqmi : 19 morts dont 3 terroristes et 3 militaires.

Vraisemblablement, la police sénégalaise a mené une longue opération de filature et surveillance avant de procéder à ce coup de filet. Cette opération coordonnée au sein des différentes divisions policières du pays, a également permis l'arrestation d'un second terroriste. Cette fois-ci, c'est Brigade d'intervention polyvalente (BIP) qui fait ses preuves.

Elle a interpellé « un chauffeur répondant au nom d'Ould Ame Sidalamine, né en 1982 et résidant à l'Unité 26 des Parcelles Assainies (Dakar) », à bord d'un véhicule immatriculé en Gambie.

Le Sénégal sur le qui-vive, épargné mais menacé...

L'interpellation de ces deux terroristes présumés pose plusieurs questions. Jusque-là épargné par les attaques terroristes, le Sénégal est-il devenu à son insu le lieu d'hébergement d'auteurs d'attaques perpétrées dans les pays de la sous-région ? En dépit de l'élévation du niveau de surveillance dont se targuent les autorités sénégalaises, la porosité des frontières n'épargne pas le pays au risque de laisser pénétrer sur son sol des terroristes présumés, en fuite après leur forfaiture, qui auraient dû être arrêtés à la frontière.

Autre question, le Sénégal, longtemps décrit comme un modèle d'islam modéré historiquement confrérique, est-il devenu le nid d'où essaime de potentielles recrues terroristes ?

Il y a d'abord cette enquête réalisée auprès de 400 personnes contactées au téléphone par le Timbuktu Institute. Malgré sa remise en cause, l'enquête fait froid dans le dos. Sur les 400 personnes interrogées par l'Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, affilié à cet institut de recherches : au nom « de la défense de l'islam », 10% des sondés seraient prêts à s'engager dans une organisation terroriste. En rupture avec les 90% qui répriment l'idée, ils sont des candidats probables au djihadisme.

Aujourd'hui, le pays compte une dizaine de recrues combattant sous la bannière de l'Etat islamique en Syrie, sans compter les ressortissants sénégalais qui grossissent les rangs de Boko Haram ou d'Aqmi. Ces Sénégalais qui ont succombé à la tentation djihadiste mènent une intense campagne de communication pour appeler leurs compatriotes à rejoindre les rangs de Daesh.

En octobre 2016, l'arrestation à Kaolack, région sénégalaise à 190 kilomètres au sud-est de Dakar, d'un imam jugé « radicalisé » avait été diversement apprécié. Si certains ont parlé de combattre le radicalisme sous toutes ses formes dans ce pays laïc et modéré, d'autres y ont vu une attaque de lobbys contre l'islam et ses représentants.

Néanmoins, le Sénégal est sur le qui-vive. La sécurité autour des hôtels, restaurants huppés, lieux de fréquentation touristique et à forte concentration de population sont étroitement surveillés par des hommes en armes depuis que des capitales ouest-africaines comme Niamey, Abidjan ou même Bamako ont été visées par des attentats.

Pourtant, paradoxalement, le Sénégal est absent de la réunion du G5 Sahel malgré le zèle et le lobbying de sa diplomatie. Pour le moment, même s'il est une des cibles les plus en vue d'Afrique de l'Ouest, le Sénégal est épargné par la tentation et les attaques djihadistes. Pour combien de temps encore ?

Ibrahima Bayo Jr.

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