Gambie / Investiture de Barrow : la CEDEAO se dérobe-t-elle ?

Lorsqu’Adama Barrow s’est avancé, tout de blanc vêtu pour lever la main droite et jurer de défendre la constitution gambienne, l’événement est entré dans les annales d’anecdotes de l’histoire politique africaine et même du monde entier. Pour la première fois, un président élu va prêter serment… dans un pays étranger ! Plus renversant encore : les chefs d’Etat ouest-africains brillent par leur absence à l’installation du nouveau président. Confirment-ils leur impuissance à installer Barrow à la place de Jammeh ?
Ibrahima Bayo Jr.

Le jour tant attendu est enfin arrivé. C'est drapé d'un boubou et d'une chéchia blancs qu'Adama Barrow, officiellement élu lors de la présidentielle du 1er décembre, est arrivé pour se faire installer dans ses fonctions de troisième président de la Gambie indépendante.

L'événement s'est déroulé en présence de diplomates, arrivés en bus affrétés par l'Etat sénégalais et de plusieurs membres de la diaspora gambienne installés à Dakar qui ont dû suivre la cérémonie depuis des écrans géants installés à l'extérieur de l'ambassade. Une investiture qui intervient alors que Yahya Jammeh, qui conteste toujours les résultats de l'élection refuse de quitter le pouvoir et régente la Gambie grâce à la mise en place d'un état d'urgence qui prolonge son mandat et celui du parlement gambien de 90 jours.

Réfugié à Dakar depuis le 15 janvier pour des raisons officielles de sécurité, Adama Barrow a été intronisé en Gambie alors qu'il loge dans un hôtel quatre étoiles dakarois. Comment ce coup de magie s'est-il passé ? La réponse est simple : en jonglant avec le droit international !

Barrow, président de l'ambassade de Gambie à Dakar?

L'explication est ailleurs. Sur conseils de la Cedeao, Adama Barrow s'est fait investir dans l'enceinte de l'ambassade de la Gambie à Dakar. Selon la règle de l'extraterritorialité, la représentation diplomatique gambienne est considérée comme un territoire gambien.

Ambassade de Gambie à Dakar

Théoriquement en tout cas, si Barrow a juré de défendre la constitution de la Gambie à l'intérieur de l'ambassade, il a en tout cas respecté la loi fondamentale de son pays qui indique que l'investiture de tout nouveau président devrait se faire en territoire gambien. Le diable étant dans le détail, l'investiture d'Adama Barrow serait peut-être entachée d'un vice de forme.

En effet, toute investiture d'un président gambien doit se faire devant le président de la Cour suprême, qui est actuellement le juge nigérian Emmanuel Fagbenle. Ce dernier n'ayant pas fait le déplacement à Dakar, il a été remplacé par Sherif Tambédou, le président intérimaire de l'ordre des avocats du barreau de Banjul.

Dans les faits, cette investiture permet à la Cedeao, qui joue sa crédibilité, de garder la face sauve. Dans son bras de fer qui l'oppose au fantasque et imprévisible Yahya Jammeh, l'organisation sous régionale ne cessait de marteler que l'investiture de Barrow aurait lieu à la date du 19 décembre en territoire gambien en présence des chefs d'Etat de la Cedeao. Et dans les formes, la Cedeao aura tenu parole!

La Cedeao se dérobe?

Seulement, les chefs d'Etat ouest-africains brillent à cette intronisation par leur absence. Celle-ci qui se déroule dans l'ambassade, un petit bâtiment R+1 situé dans une ruelle exigüe d'un quartier proche de l'aéroport, devrait se faire sans grandes personnalités pour relever la solennité de l'événement.

Les présidents Macky Sall du Sénégal et Muhammadu Buhari du Nigéria sont les grands absents de cette cérémonie d'investiture. Le premier a décidé de se faire représenter par son premier ministre, Mohammed Boune Abdallah Dione. Le second s'est envolé à destination de Londres pour ses « vacances annuelles » d'au moins deux semaines. Il s'est fait représenter par son vice-président.

La présence d'Ellen Johnson Sirleaf du Libéria et Nana Akufo-Addo du Ghana, d'Alassane Ouattara de Côte d'Ivoire, n'a été effective puisqu'ils ont été également représentés par leurs ambassadeurs respectifs à Dakar. Les seules silhouettes que l'on a aperçu à cette investiture pour relever l'événement ont été celles de Marcel Alain De Souza, le président de la commission de la Cedeao et de Mohamed Ibn Chambas, l'envoyé des Nations Unies en Afrique de l'Ouest.

Cette absence des chefs d'Etat ouest-africains donne le sentiment d'une incroyable dérobade de la Cedeao dans son soutien inconditionnel affiché à Adama Barrow. L'envergure politique de l'investiture d'Adama Barrow est moins reluisante en raison de l'absence des chefs d'Etat de la Cedeao.

Les troupes sénégalaises franchissent la frontière pour prendre Banjul

Le président fusse-t-il élu, est entré en fonction sans territoire et sans pouvoir gouverner à distance. Si ironiquement un certain Alassane Ouattara, dans des circonstances presque similaires, a pu porter le quolibet de « président de l'hôtel du Golf », Adama Barrow, dans l'attente de son installation porterait peut-être pour la postérité « président de l'ambassade de Gambie à Dakar ».

Les choses se sont accélérer à partir de cette investiture qui a donné théoriquement le pouvoir à Barrow de représenter la Gambie. C'est dans ses nouveaux habits que le président nouvellement investi pourra alors demander officiellement l'aide militaire d'Etats comme la France, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Des pays qui pourraient appuyer et financer l'intervention militaire de la Cedeao.

Mais la délivrance est arrivée d'un vote du Conseil de sécurité qui a accordé, ce jeudi en fin d'après-midi, quelques heures après l'investiture de Barrow, son nihil obstat à une intervention de la Cedeao pour déloger Jammeh et réaliser la passation de pouvoir. Les forces régionales de la Cedeao menées par le Sénégal ont donc franchi la frontière pour se diriger vers Banjul et donner à Barrow un territoire à diriger. Ce mouvement de troupes déclenche donc les hostilités d'un bras de fer armé avec Yahya Jammeh qui disait attendre les troupes de la Cedeao de botte ferme. Sa capacité à pouvoir leur résister est la grande inconnue de cette opération. Et pour combien de temps?

Ibrahima Bayo Jr.

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Commentaires 2
à écrit le 19/01/2017 à 22:31
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L'Afrique reste toujours dépendante et ces leaders !

à écrit le 19/01/2017 à 20:40
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Est-ce le fils caché de Clyde Barrow et d'Anne Pingeot :-)

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