Mali/migration : le cadeau empoisonné de l’UE qui a fait vaciller le gouvernement

Le gouvernement du premier ministre malien a vacillé ce mercredi 21 décembre, mais il n’est pas tombé. La motion de censure déposée par des députés d’opposition a été largement rejetée par une assemblée nationale acquise à la cause du gouvernement. Ce dernier fait face à une grogne populaire alimentée par une polémique persistante sur la signature (ou non) d’un éventuel accord de rapatriement des Maliens en situation irrégulière en Europe. Un cadeau empoisonné de l’UE au gouvernement de Modibo Keïta qui peine à convaincre.
Ibrahima Bayo Jr.
Le ministre malien des Affaires étrangères et son homologue, le 11 décembre après la signature du texte par lequel le scandale est arrivé

La virulence des débats traduit bien l'ampleur de la polémique qui s'est emparée du Mali. Les explications de trois ministres maliens dont celui des Affaires étrangères, lors de la séance des questions orales n'y ont rien changé. Deux groupes parlementaires d'opposition ont déposé une motion de censure visant à renverser le gouvernement du premier ministre Modibo Keïta, en place depuis janvier 2015.

Accord, pacte ou communiqué conjoint ?

Après une houleuse séance de débats, longue de quatre tours d'horloge et marquée par des invectives et des anicroches, la motion a été rejetée par une écrasante majorité des députés. Sur les 96 voix requises pour faire passer le texte de renversement, seuls 33 députés sur les 160 de l'assemblée nationale, ont voté pour la destitution de Modibo Keïta et de son gouvernement. Insuffisant pour acter la démission du gouvernement.

Trois « chefs d'inculpation » étaient reprochés au gouvernement : une incapacité à assurer la sécurité dans le pays et à organiser des élections communales crédibles. Mais au cœur de cette tentative de renversement, c'est l'accord supposé être signé le 11 décembre dernier, entre le Mali et l'UE pour le rapatriement des Maliens en situation irrégulière en Europe.

Ce jour-là, Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères reçoit à Bamako, Bert Koenders, son homologue néerlandais pour le compte de l'Union européenne. Au terme de cette rencontre, les deux hommes ont signé un texte ambigu brandi par Bert Koenders. Un « d'accord » destiné à lutter contre « les causes profondes de la migration irrégulière » et à « favoriser le retour des migrants maliens depuis l'Europe ». Le gouvernement malien par la voix du chef de sa diplomatie a quant à lui qualifié le texte de « communiqué conjoint » sans valeur juridique.

Le cadeau empoisonné de l'UE ...

Il s'en est suivi une polémique sémantique et juridique qui s'est transformée en fronde sociale contre le gouvernement puis en joutes verbales à l'assemblée. Dans la foulée, l'UE a annoncé «la mise en œuvre des pactes avec l'Éthiopie, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal », cinq pays de provenance ou de transit des migrants. Dans le détail, l'UE compte signer des accords avec les pays africains, des « pactes migratoires » semblables à ceux signés avec la Turquie ... à une différence près.

Les accords avec les pays africains vont conditionner l'aide économique et financière au curseur de la « pleine coopération » avec une « exigence de résultats mesurables en ce qui concerne la prévention de l'immigration illégale et le retour des migrants en situation irrégulière [dans leur pays d'origine, ndlr] ».

En termes beaucoup plus simples, cette menace emballée dans des arguties diplomatiques, ces « pactes » imposent aux pays africains de participer, via l'envoi de responsables, à l'identification de leurs ressortissants clandestins pour ensuite les refouler sur leur sol. Dans le cas du pacte signé avec la Turquie, l'UE lui promet l'exemption du visa à l'entrée et une possible entrée dans l'UE.

... déguisé sous les oripeaux d'un « communiqué conjoint »

Loin de calmer la grogne sociale, l'envoi en novembre dernier par le Ministère des Maliens de l'extérieur de missions d'identification, sonne donc comme un indice allant dans le sens de la signature de ces « pactes » sous contrainte. Mais le Mali a-t-il vraiment signé ce « pacte » ? La question suscite la controverse dans le pays. Et ni les explications des ministres montés au créneau dans une communication cacophonique, ni les démentis du ministre des Affaires étrangères n'ont véritablement convaincu.

« Communiqué conjoint », « pacte » ou « accord ». En dépit de la rhétorique sémantique, le texte signé par Abdoulaye Diop et Bert Koenders, prévoit « l'accompagnement des retours d'Europe de personnes vivant en situation irrégulière, sur base des procédures standard, conclus entre les deux parties tout en respectant leurs obligations mutuelles ».

Certains traduisent cela comme une expulsion des migrants irréguliers en droite ligne des accords de réadmissions promus par l'UE. Ce serait alors un indice de plus que l'accord Diop/Koenders, dans son fond en tout cas, est un accord de réadmission et donc un véritable cadeau empoisonné déguisé sous les oripeaux d'un « pacte » avec le Mali qui compte une importante communauté d'immigrés notamment en France.

Aujourd'hui même si la motion de censure a échoué à faire tomber le gouvernement, le premier ministre malien tient entre les mains, la patate chaude sociale. Ce ne sont pas les missions des délégations officielles pour une campagne d'explication de la politique gouvernementale auprès des Maliens de l'extérieur qui vont faire retomber le mercure du thermomètre social !

Ibrahima Bayo Jr.

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Commentaire 1
à écrit le 23/12/2016 à 11:09
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Euh ben je pense si c'est comme ça,les deux acteurs consernés doivent faire la part des choses.

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