Joute épistolaire et luttes d'influences à l'Assemblée nationale autour du Maghreb

Le député Jean Glavany s'est laissé aller à commenter la santé des chefs d'Etat des trois pays du Maghreb. Mais au lieu de se satisfaire des efforts de ses camarades pour éteindre la polémique, il s'est fendu d'une lettre perfide à Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. La réponse de cette dernière vaut le détour.

Il est de ces inimitiés qui plongent leurs racines dans des querelles anciennes, mâtinées par les inévitables jalousies de cour qu'a produit la Miterrandie. Ces fâcheries-là sont tour à tour contenues puis orageuses, dormantes jusqu'à l'éruption. Et cela semble être le cas entre Elisabeth Guigou, présidente depuis 2012 de la commission des affaires étrangères à l'assemblée nationale française, et Jean Glavany, député de la 3ème circonscription des Hautes-Pyrénées et membre de ladite commission. Au sein de cette commission des affaires étrangères, les deux socialistes s'observent désormais en chiens de faïence, depuis que le Palais-Bourbon a fait ses choux gras de leurs échanges de courrier.

Tous deux anciens proches collaborateurs de François Mitterrand, Jean Glavany et Elisabeth Glavany se sont livrés, fin février à une bataille épistolaire épique que La Tribune Afrique reconstitue pour ses lecteurs, documents à l'appui. Nous en reproduisons même les morceaux choisis dans ces colonnes. La polémique est passée entre les goutes de la campagne électorale rocambolesque de ce début d'année 2017, mais elle n'en éclaire pas moins les arcanes d'un pouvoir socialiste finissant, et la part de passion que continue de receler la relation de l'ancienne puissance coloniale avec les trois pays du Maghreb, pudiquement recouverts du manteau de la politique européenne de voisinage.

La cause de cette guerre des tranchées entre la Président de la commission et l'ombrageux député ? Une divergence de fond sur la manière de faire la « pédagogie » du rapport d'information sur le Maghreb préparé par une mission de parlementaires durant neuf mois, et surtout sur les moyens de réparer l'énorme « gaffe » de Jean Glavany lors de la présentation télévisée du rapport le 18 Janvier de cette année. Le député des Hautes-Pyrénées, s'exprimant en roue libre, avait alors partagé, alors qu'il savait être filmé par les caméras de la Chaine Parlementaire, son « inquiétude » devant la « fragilité » des dirigeants du Maghreb, en pointant du doigt notamment l'âge des dirigeants algériens et tunisiens, puis par une plus longue digression sur une possible maladie du roi du Maroc.

Lettre Glavany 1

Lettre Glavany 2

Lettre Glavany 3

De manière prévisible, ces déclarations ont suscité une émotion importante dans les trois pays du Maghreb. Ce qui a obligé M. Glavany à effectuer un laborieux et tortueux rétropédalage, sans qu'il ne remette toutefois en cause publiquement ses affirmations, notamment celles concernant Mohammed VI. Le timing de cette prise de parole, le 18 janvier à quelques jours du déplacement attendu à Addis-Abeba du roi du Maroc pour marquer la ré-adhésion du Maroc à l'Union africaine, avait bien fait lever quelques sourcils de part et d'autre de la Méditerranée. Fallait-il établir un lien entre cette sortie de piste d'un vieux briscard de la politique française et sa présidence du groupe d'amitié parlementaire France-Afrique du Sud, adversaire le plus virulent du retour du royaume au sein de la famille africaine?

A L'Elysée, Jean Glavany fut le chef de cabinet de François Mitterrand durant le premier mandat de ce dernier (1981-1988). Dès cette époque, la maladie du président est décelée par les médecins. A posteriori, des proches collaborateurs, comme le Premier ministre Pierre Mauroy, ont reconnu qu'ils étaient dans le secret. Jean Glavany pouvait-il ignorer ce que tant d'autres savaient tout en le cachant? Si oui, il n'en a jamais parlé. Le socialiste est pourtant moins discret et encore moins prudent  quand il s'agit d'évoquer la santé d'autres chefs d'Etat. Et puis Jean Glavany essayait-il sérieusement de comparer la santé du roi de Maroc et celle du président algérien ? Le premier était alors en pleine tournée africaine, tandis que le président algérien, qui ne s'est pas totalement remis d'un accident vasculaire cérébral (avril 2013), ne se déplace plus et ne s'est pas adressé au peuple algérien depuis mais 2012.

Suite à cet incident, la Présidente de la commission des affaires étrangères, Elisabeth Guigou, a dû mettre en branle une opération « damage control » auprès de Tunis, Alger et Rabat, afin d'expliquer et de défendre la position de l'Assemblée nationale dans son rapport, et  de tenter de séparer les propos de Glavany du travail effectué par les parlementaires. Dans le souci d'apaiser les choses, quelques semaines après la sortie de Glavany, Guigou se rendit à Tunis, et affirma lors de son déplacement dans une dépêche relayée par l'agence officielle TAP qu'elle trouvait « tout à fait déplacé les propos tenus par les députés français sur l'état de santé des dirigeants des trois pays du Maghreb ».  Et c'est précisément cette tentative de déminage qui déclenchera la guerre à travers un courrier lapidaire adressé à l'ensemble de la commission présidée par l'ancienne Garde des Sceaux en date du 21 Février 2017.

Dans sa lettre,  Jean Glavany lui dit tout le bien qu'il pense de sa déclaration de Tunis, qui l'aurait « choqué », et qui répondrait selon lui  à une démarche de « petits jeux de positionnement personnel ». Jean Glavany tente dans son courrier de défendre sa sortie malheureuse du 18 Janvier, la minimisant et reconnaissant la seule « maladresse » qu'il a « pu commettre à l'endroit du roi du Maroc dont je me suis personnellement excusé auprès de lui ». Exit donc les commentaires sur l'âge du capitaine en Tunisie et en Algérie, que Jean Glavany semble assumer. Une curieuse attitude de déni, de la part d'un haut responsable qui prétend « calmer le jeu ». Le reste de la missive est à l'avenant. Glavany regrette que la Présidente de la commission se soit désolidarisée « d'une manière aussi déplacée du travail de cette mission ». Là aussi, l'on peine à retrouver un commentaire d'Elisabeth Guigou remettant en cause les travaux de sa commission, tout juste s'est elle bornée à désavouer les propos tenus par Jean Glavany en conférence de presse lors de son déplacement à Tunis.

Mais là où la divergence d'appréciations sur le fond passe au second plan, c'est dans la dernière partie de la lettre de M. Glavany, dans laquelle tout en invoquant un principe d'exemplarité, il enchaîne en réalité les attaques personnelles contre Mme Guigou et les insinuations elliptiques. Il y évoque pêle-mêle une « ponction » par la présidente des frais de déplacements de la commission des affaires étrangères, des voyages de complaisance, la fréquence de ses séjours dans  « telle ambassade du Maghreb », que M; Glavany ne nomme pas. Enfin, il s'indigne d'un « mélange des genres » entre la présidence de la commission et, d'un côté « des responsabilités à la tête d'un réseau associatif (...) défendant des intérêts privés », de l'autre, « la promotion d'un institut dont un de vos très proches est le responsable ». Dans le premier cas, on peut comprendre que le député Glavany fait allusion à la Fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures, qui est l'un des principaux outils de la coopération culturelle entre l'Union européenne et les pays de la rive sud de la Méditerranée. Quand à l'institut évoqué par la lettre, il s'agit de l'Institut de prospective économique du monde européen (Ipemed), dont le délégué général est Jean-Louis Guigou, époux de Mme Guiguou depuis 50 ans. Même s'il reconnaît lui-même que ses propos sont « excessifs », M. Glavany n'en menace pas moins de saisir de ces faits le déontologue de l'Assemblée nationale.

La réponse de la présidente ne se fera pas attendre. Datée du 24 Février 2017, et adressée également à l'ensemble des membres, celle ci y répond pied à pied à chaque allégation contenue dans la missive de Jean Glavany. Elle rétablit la chronologie des faits en citant les propres déclarations de son camarade, le 25 janvier, lors de la réunion de la commission des affaires étrangères successive à la polémique. Nous reproduisons ici les propos de M. Glavany tels que cités par Mme Guigou:

« Je souhaiterais faire une mise au point, pour moi urgente et indispensable. La semaine dernière, en présentant le rapport de la mission d'information sur le Maghreb (...) j'ai commis une première faute: celle de ne pas m'en tenir aux propos préparés avec l'administratrice de la commission et de me croire capable de me livrer à un commentaire oral un peu libre comme j'aime le faire; or ce jour-là je n'en étais pas capable (sic). »

Ayant rappelé cet exercice de contrition de la part de son « camarade », Elisabeth Guigou déroule ensuite les efforts qu'elle a entrepris pour corriger l'impression désastreuse laissée par le dérapage de Jean Glavany, auprès des différentes capitales maghrébines, en essayant de souligner que le rapport écrit insistait au contraire  sur « l'importance stratégique de ces trois pays du Maghreb et de l'importance pour la France d'entraîner l'Union européenne à un partenariat renouvelé, dans tous les domaines, avec les pays du Sud de la Méditerrranée. ». L'ancienne ministre de la Justice de Jacques Chirac évoque ensuite la suite de la lettre « injurieuse et même, par endroits calomnieuse à (son) égard. » Elle s'y défend point par point.

Lettre Guiguou

Lettre Guiguou

Lettre Guiguou 2

Lettre Guigou 3

Un rapport moins polémique que les propos de son rapporteur

Le rapport ne contient en lui-même pas de contenu surprenant ni de fulgurance analytique. Loin de la polémique, il contient même un passage louant la « personnalité et l'intelligence politique du Roi Mohamed VI ». Un long développement est ainsi consacré au rôle de Commandeur des croyants de Mohammed VI et à la conduite tant de la politique religieuse, de l'intégration au jeu politique des islamistes que de la lutte contre la pensée intégriste. Le discours du 20 août 2016 du roi est cité. Le rapporteur notant que « le Roi du Maroc a pris récemment des positions courageuses contre toute forme de radicalisme justifié par la religion. Il a ainsi démontré que les liens entre politique et religieux ne sont pas le seul apanage des terroristes islamistes. »

Mais certains passages peuvent prêter à sourire. Sur la menace terroriste, réelle dans toute la région, la formulation des analyses est en ce sens éloquente. Le court paragraphe consacré au Maroc commence par un constat alarmiste: « Daech cherche à étendre son influence au Maroc. Les Forces armées royales (FAR) ont directement été menacées dans plusieurs vidéos. » Un paragraphe plus loin, l'analyse de la situation en Algérie est résumée par une ellipse: « Les autorités parviennent dans l'ensemble, comme au Maroc, à contenir les différents groupes qui opèrent su son territoire. » Quelle plume, M. Glavany!

 Le vieux briscard et la technocrate bon teint

D'un côté, il y a le vieux routier de la politique, Jean Glavany, 67 ans, ancien chef de cabinet de François Mitterrand lors de son premier septennat, puis plusieurs fois ministre au sein des gouvernements de Pierre Bérégovoy et de Lionel Jospin. Depuis 1993, il est l'inamovible député de la 3ème circonscription des Hautes-Pyrénées. Il est considéré comme l'un des « éléphants du PS », pas le plus chaleureux d'entre eux. Contacté par nos soins, il a répliqué d'un très sec « ça ne vous regarde pas. » Pas la peine d'insister : « Vous êtes terrible. Vous croyez que tout doit être déballé. J'ai déjà dit tout ce que j'avais à dire. » De son côté, Elisabeth Guigou, 70 ans, n'a pas souhaité commenter sa passe d'armes avec son « collègue ». Native de Marrakech, elle a gardé au Maroc de nombreuses amitiés. Elle s'est marié, alors étudiante, avec Jean-Louis Guigou, un économiste rocardien qui anime l'Ipemed, un think tank qui réunit des universitaires et des entrepreneurs des deux rives de la Méditerranée. Actuellement députée de Seine-Saint-Denis, elle a été Garde des Sceaux (1997-2000) puis ministre de l'Emploi (2000-2002) au sein du gouvernement Jospin et a été pressentie comme candidate au poste de ministre des Affaires étrangères de François Hollande.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.