Capital-investissement : « En Afrique, les fondamentaux sont encore plus importants »

Investir en Afrique à très long terme est un métier à part. Ayant mené des opérations aux Etats-Unis et en Europe avant de se dédier au continent noir, Stéphane Bacquaert, CEO de Wendel Africa, nous livre les précieux enseignements de son expérience transcontinentale.

La Tribune Afrique : Quelles sont les spécificités des opérations de Wendel en Afrique ?

Stéphane Bacquaert : Avant tout, Wendel est un investisseur de long terme qui investit les ressources de son propre bilan. Cela nous positionne idéalement, notamment en Afrique, pour accompagner les sociétés de notre portefeuille dans la durée. En Afrique, nous avons adapté notre ticket d'entrée qui dans certains cas peut être   inférieur à ce que nous faisons en Europe, mais aussi notre manière d'investir en y faisant du capital développement. Nous pouvons ainsi réinvestir au fur et à mesure des besoins en développement des sociétés. C'est ce que nous avons fait avec IHS, où nous avons commencé par investir 125 millions de dollars en 2013, aujourd'hui notre investissement total dans cette société est de 826 millions de dollars. Notre stratégie en Afrique est également d'investir dans des plateformes panafricaines. Deux raisons principales résident derrière ce choix stratégique. D'abord c'est dans cette catégorie d'entreprises qu'il y a le plus de potentiel de croissance, de rentabilité et de création de valeur. Ensuite, la diversification géographique permet de limiter le risque face aux crises que peuvent traverser certains pays africains individuellement, qu'elles soient économiques, sociales ou politiques.

Notre autre spécificité en Afrique est que nous investissons avec des partenaires, à la fois pour partager les risques mais aussi pour bénéficier de l'expertise de partenaires qui ont une forte connaissance de terrain. Nous sommes donc souvent majoritaires, ou avec une minorité très significative, mais toujours entourés de partenaires qui maitrisent de près les variables locales.

Cela va à contre-courant d'autres investisseurs et notamment les fonds en Afrique qui cherchent souvent des participations minoritaires...

Absolument. Nous souhaitons avoir un rôle très actif dans la gouvernance des sociétés dans lesquelles nous investissons. Par exemple, nous faisons systématiquement partie des Conseils d'administration et des principaux Comités de gouvernance. Nous nous impliquons fortement dans l'accompagnement du management, dans la définition de la stratégie et dans son exécution notamment quand il s'agit de croissance par acquisitions. Nous ne sommes pas du tout un Family Office passif ou un sleeping partner.

Quelle part représente désormais l'Afrique dans le portefeuille de Wendel ?

Avec une entrée relativement récente sur le continent africain, nous sommes aujourd'hui à une part de 14 % sur un actif brut de plus de 11 milliards d'euros. Ceci inclut nos quatre investissements en Afrique (IHS, Tsebo, Saham et SGI Africa) mais aussi la part des activités en Afrique d'autres sociétés mondiales de notre portefeuille comme Bureau Veritas ou Constantia Flexibles par exemple.

Quelle est la structure cible à terme ? La part de l'Afrique est-elle amenée à gagner de l'importance ?

La structure cible reste la même. Nous continuerons notre stratégie d'investissement en Europe, en Amérique  du Nord et en Afrique  en  fonction des conditions de marché naturellement. Par ailleurs, nous allons commencer à investir directement en Asie du Sud-Est où nous sommes implantés depuis 2013. Le poids de l'Afrique dans le portefeuille de Wendel ne devrait donc pas croître significativement, mais nous allons continuer à y dédier des ressources pour y maintenir la même exposition au sein de de nos actifs. Ce qui, sur plus de 11 milliards d'euros d'actifs qui sont amenés à croître, nous donne encore les moyens de faire plusieurs opérations de taille sur le continent, si les conditions de marché le permettent évidemment !  Contrairement à un fonds de private equity, nous ne sommes pas obligés d'investir dans un laps de temps donné.

Quels sont les secteurs que vous pensez cibler à l'avenir en Afrique ?

Nous sommes aujourd'hui présents en Afrique dans les services financiers, les services B to B aux entreprises, la grande distribution et les infrastructures télécoms. En revanche nous n'avons pas d'actifs dans l'agroalimentaire, dans l'éducation, dans la santé, ni dans l'énergie renouvelable... Ces secteurs nous intéressent dans la mesure où leur croissance est corrélée à des fondamentaux solides et de long terme comme la démographie, l'urbanisation, l'émergence de classes moyennes, etc.

Votre philosophie d'investisseur à long terme fait que vous ne vous fixez pas d'horizon de sortie. Comment alors monétisez-vous les opérations africaines ?

En effet nous n'avons pas d'horizon de temps et pouvons prendre le temps d'une véritable création de valeur. Après quatre ans d'investissement au capital de champions africains, il est évidemment tôt pour parler de sortie ! Toutefois, nous travaillons activement au développement de nos sociétés pour en faire des plateformes de taille significative et panafricaines. Nous sommes convaincus que nos sociétés, avec cette stratégie de création de valeur dans la durée, auront le potentiel d'attirer les investisseurs financiers ou stratégiques internationaux voire d'être à terme introduites en bourse sur des places financières locales ou internationales. Les bourses européennes manquent d'ailleurs de valeurs africaines, qui ont un profil de rendement et de croissance différent qui attire les investisseurs. Cela serait d'ailleurs une très grande fierté pour Wendel que de pouvoir contribuer au rayonnement international de réels champions africains ! Quand on regarde nos investissements, toutes les options sont donc possibles : cession à un grand industriel international, mise en bourse ou maintien dans la durée dans notre portefeuille.

Justement, comment faire lorsque les groupes de grande taille se font rare, comme c'est le cas sur notre continent ?

Contrairement à d'autres continents, en Afrique, les grandes plateformes sont en effet rares et donc très convoitées par les investisseurs. Mais l'enjeu en Afrique n'est pas seulement de trouver des sociétés de taille significative déjà établies. Notre ambition est plutôt de construire de telles plateformes panafricaines en leur donnant les moyens stratégiques, financiers et humains de leur ambition.  En tant qu'investisseur de long terme, nous avons une opportunité unique de pouvoir faire émerger des sociétés africaines, leaders sur le continent et sur des secteurs à forte croissance !

Avec cette logique à long voire très long terme, n'a-t-on pas peur des crises, notamment celles que traversent plusieurs pays africains ?

Notre métier est évidemment de gérer les risques du mieux possible. Il est vrai qu'il y a trois ou quatre ans, il était plus facile d'investir en Afrique, dans un contexte d'afro-optimisme un peu à l'excès. Aujourd'hui, nous sommes face à une situation plus tendue, où les pays exportateurs de matières premières et d'hydrocarbures souffrent. Nous sommes évidemment très attentifs aux évolutions des devises, au risque politique et à la stabilité des pays dans lesquels nous investissons. C'est justement pour équilibrer ce risque que nous n'investissons que dans des sociétés panafricaines, présentes dans de nombreux pays du continent, et avec des partenaires reconnus. Là encore notre logique de long terme est une force qui nous permet de passer les cycles, ce que les fonds d'investissement classiques ne peuvent pas faire car ils sont structurellement sous contrainte de temps. La plupart des grands fonds internationaux semblent d'ailleurs avoir mis leurs investissements en Afrique entre parenthèses. Un investisseur comme Wendel peut attendre et bénéficier des fondamentaux qui accompagnent inexorablement le développement démographique, social et économique du continent.

Comment gérez-vous le risque de change, au moment où les monnaies de certains pays africains se sont fortement dépréciés suite à cette crise ?

En Afrique aujourd'hui, il n'y a pas de solution d'ingénierie financière et c'est une vision complètement utopique de penser que l'on peut aller voir une banque pour se couvrir contre le risque de change en Afrique. Et encore moins à long terme comme c'est le cas pour nous. Les solutions qui existent relèvent de la bonne gestion. Ce qui est faisable, c'est de faire en sorte que les sociétés s'endettent avec la monnaie dans laquelle elles génèrent leur trésorerie. Ensuite, il faut essayer de privilégier des contrats-client en dollars ou euros lorsque c'est possible, comme c'est d'ailleurs le cas pour certaines de nos sociétés. Il y a aussi des systèmes d'indexation sur l'inflation ou sur la monnaie, surtout lorsque les intrants sont importés et donc réglés en dollar. Mais, encore une fois, investir à long terme est la meilleure manière pour se prémunir des évolutions conjoncturelles sur le marché des devises ou des taux.

Quels enseignements tirer de l'investissement dans un continent aussi volatile ?

Si j'avais trois grandes leçons à retenir, ce seraient celles-ci. Premièrement, ce n'est pas parce que vous investissez sur un continent en émergence que vous êtes face à moins de sophistication. Bien que le marché du private equity soit moins mature en Afrique, le métier d'investisseur y est finalement beaucoup plus complexe et technique. Et je parle en connaissance de cause, puisque je me suis occupé d'investissements en Europe et aux Etats-Unis avant d'investir en Afrique. On ne fait pas des deals en Afrique « comme on le faisait il y a 20 ans en Europe », c'est plutôt l'inverse ! Il est plus compliqué d'y structurer une dette, d'analyser les comptes d'une société, de comprendre la réalité locale des marchés... sans parler des sujets complexes de devises, d'inflation ou de règlementation. Pour réussir dans le Private Equity en Afrique, il faut en fait disposer des meilleures équipes d'investisseurs, même si cette industrie peut paraître moins mature qu'ailleurs. Le deuxième grand enseignement est que les fondamentaux de notre métier sont encore plus importants en Afrique : la diversification du risque, l'analyse des drivers de croissance et de rentabilité, le réalisme du business plan, la réalité des actifs, la visibilité sur les contrats, la qualité des partenariats... L'environnement est très volatile en Afrique, et il est essentiel d'en analyser tous les paramètres. Et enfin, classiquement, mais encore plus essentiel sur ce continent : le management. Les hommes sont clés ! Il faut comprendre intimement la structure des équipes : leur qualité managériale, d'exécution et de leadership. Du coup, d'une certaine manière, le Private Equity en Afrique s'apparente un peu au Venture Capital en Europe ou aux Etats-Unis, où la valeur réside beaucoup dans le choix et la qualité des entrepreneurs.

Faut-il donc prendre les manettes pour être rassuré ?

Nous sommes des actionnaires professionnels et notre rôle est d'accompagner le management mais en aucun cas de s'y substituer. Toutefois, le fait d'être très influent dans la gouvernance, voire en position de contrôle, nous donne une véritable légitimité auprès du management et nous permet de faire entendre notre voix ce qui est impossible sans capital ni droits de vote.

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