Investir en Afrique : « Attention à la culture ! » (Interview)

Investir en Afrique est un slogan qui ne cesse de prendre de l'ampleur aussi bien en France qu'au Maroc. Selon le baromètre du cabinet International, Bearingpoint, 75% des entreprises marocaines estiment qu'en 2021 plus de 20% de leur chiffre d'affaires proviendra du continent et 19% de leurs homologues françaises disent qu'il sera supérieur à 50%. Décryptage avec Jean-Michel Huet, directeur associé au cabinet Bearingpoint.
Pour Jean-Michel Huet, directeur associé au cabinet Bearingpoint, il ne faut pas avoir un regard négatif et se dire que les IDE en industrie sont faibles, mais c'est le secteur financier qui a pris le plus d'avance.

La Tribune Afrique : l'industrie est souvent perçue comme le secteur qui draine le moins d'IDE, notamment marocains ou français, en Afrique. Pourquoi ?

Jean-Michel Huet : Aujourd'hui, c'est un fait assez marquant. Le secteur qui arrive en premier est celui de la banque. Les investissements des banques marocaines en Afrique sont importants. Cela dit, il ne faut pas avoir un regard négatif et se dire que l'industrie est faible, même si je reste convaincu qu'il y a beaucoup d'opportunités à venir. Il y a des engagements forts de la part de sociétés comme l'OCP ou autres. Mais ce sont les sociétés du secteur financier qui sont en avance. Dans notre étude, la plupart des entreprises marocaines rapportent qu'ils ont comme modèle d'implantation en Afrique celui des banques marocaines leaders. En France, la réponse est différente. Les modèles sont soit une entreprise qui opère dans les infrastructures (Bolloré), une dans la distribution, (CFAO) et une autre dans l'énergie (TOTAL). La particularité du Maroc, c'est que le secteur financier est en avance. Ce n'est pas dû au retard de l'industrie.

Quand faut-il se dire, pour un opérateur économique, petit ou grand, qu'il est temps de s'internationaliser et d'investir en Afrique ?

Il faut que cela découle d'un choix stratégique de l'entreprise ; parce que pour chaque investissement, il y a un risque à prendre en considération. Mais l'internationalisation se fait sur plusieurs étapes. Il y a d'abord l'exportation. L'étape suivante est de s'installer sur place. Avant de le faire il faut savoir est-ce qu'on y va tout seul ou bien avec un partenaire ? Il y a plusieurs scénarios possibles. Ce qui est frappant dans l'étude, c'est que pour les entreprises marocaines, le plus grand frein qui les empêche d'aller en Afrique, est le manque de financement. Aussi, elles sont assez critiques concernant le soutien des pouvoirs publics, mais cela est le cas partout. Et quand on creuse un peu, la diplomatie économique du roi du Maroc, est très bien perçue. Il faut aussi savoir que le Maroc est le pays africain qui a le plus d'ambassade en Afrique. Par contre, le point faible pour les entreprises, concernant les politiques publiques marocaines, est le financement, ou tout ce qui concerne le financement des exportations, assurance, couverture, etc. Mais est-ce que c'est spécifique au Maroc ? Je n'en suis pas sûr.

Parmi les freins qui ralentissent les implantations des entreprises en Afrique, l'instabilité politique et la corruption sont souvent citées en premier. A quel point cette perception a une trace réelle sur le terrain ?

Il est vrai que dans certains cas, ces craintes sont réelles, mais souvent les réalités du terrain sont autres. Par exemple, dans notre étude, certaines inquiétudes se ressentent plus chez les entreprises françaises que les marocaines. Ainsi, cette perception dépend de la sensibilité des entreprises par rapport à ces difficultés de s'implanter dans un autre pays. Quand on se développe au Maroc, l'on maîtrise déjà la culture, les coutumes, les difficultés, le cadre juridique et politique. Dès qu'on change de pays, les choses deviennent plus compliqués, hors le facteur de la distance, qui pèse dans certains cas la différence des langues ou des cultures peut s'avérer fatal. Bien que la différence culturelle n'apparaît pas comme une grande difficulté selon plusieurs études, mais je pense qu'elle peut être un facteur d'échec. Ce n'est pas par hasard que le top 10 des pays africains auxquels vont les entreprises marocaines sont des pays qui se trouvent tous sur la côte ouest francophone. Et ce n'est pas uniquement une question de langue, cette préférence s'explique aussi par le fait que ce sont des pays qui partagent, plus ou moins, le même code, basé sur le droit français. Du coup, l'on parle juridiquement le même langage. Dans son dernier déplacement, le roi du Maroc a dit vouloir miser aussi sur les pays de l'Afrique de l'est, comme le Nigeria et le Rwanda, ce qui est très juste vu la croissance de ces pays-là, mais les entreprises qui voudront s'y installer auront plusieurs difficultés, la langue, bien entendu, mais c'est surtout une logique juridique différente. C'est une vraie difficulté à laquelle il faut être préparé.

Comment pourra-t-on dépasser ces freins culturels ?

Il faut identifier et s'allier à des partenaires locaux. Il y a des cas de figures ou c'est une obligation juridique, mais pour moi, c'est tout simplement obligatoire. Un partenaire local va vous aider à mieux connaitre le pays et sa culture. Même dans des cultures que l'on juge proche de la nôtre, il ne faut pas hésiter à avoir un partenaire local. Quand on demande à une société quel est le premier facteur d'échec dans un pays étranger, la culture arrive troisième après la difficulté à trouver un marché et l'instabilité politique.

Du coup, quid des entreprises marocaines qui choisissent comme partenaires des entreprises françaises ?

En effet, 31 % des entreprises marocaines partent en Afrique avec des partenaires français. La raison est : la complémentarité. Et celle-ci peut être technologique dans le cas des services. Mais dans la plupart des cas, les entreprises marocaines s'allient à des entreprises françaises qui sont déjà présentes dans le pays depuis des décennies et qui ont déjà acquis les connaissances nécessaires pour y agir. Cette option présente certaines similitudes avec le choix d'un partenaire local. La grosse différence, c'est que pour les entreprises françaises, il y a généralement un meilleur accès au financement, ce qui n'est pas le cas pour les entreprises locales.

L'étude a ciblé les pays de l'Afrique de l'ouest. Peut-on extrapoler ses résultats sur les autres régions d'Afrique ?

Le top 10 des pays où partent les entreprises marocaines et française se trouve en Afrique de l'ouest. Mais il y a d'autres pays ou sont implantées les entreprises françaises comme le Nigéria ou l'Egypte. Le roi du Maroc a visité des pays de l'Afrique de l'Est et du Sud dans l'objectif de se développer au-delà de la zone de confiance, à savoir les pays francophones de l'Afrique de l'ouest. Il faut chercher ces autres marchés. Et encore une fois, quand l'on va s'installer dans un pays, ce qui importe le plus, c'est le marché intérieur. Le Nigéria est un marché de près de 200 millions de personnes, l'Ethiopie 90 millions et le Congo Kinshasa, 67 millions. Il faut aller là où il y a des marchés disposent de taille critique.

Dans l'étude de votre cabinet, vous êtes optimiste quant aux prochaines années concernant l'arrivée d'investissements français et marocains en Afrique. La crise économique causée par la baisse des prix des matières premières ne va-t-elle pas être décourageante ?

Le contrecoup de la baisse des matières premières, a déjà été ressenti en 2014. Mais aujourd'hui, certains cours commencent à reprendre comme le pétrole. Alors qu'il était tombé à moins de 30 dollars le baril, il a aujourd'hui dépassé la barre des 50 dollars. D'ailleurs, certaines matières premières minérale n'ont pas particulièrement baissé. Je pense que cette crise est derrière nous. Bien sûr, des séquelles se feront toujours ressentir dans certains pays. Je pense notamment à l'Angola où le prix du pétrole est encore bas, ce qui s'impacte sur les devises qui y circulent. Une situation qui complique la tâche des entreprises étrangères notamment marocaine qui souhaitent rapatrier des capitaux d'Angola.

A quoi faut-il s'attendre si une entreprise souhaite répondre à une appel d'offre. Surtout que de nombreux pays investissent dans leurs infrastructures...

Dans beaucoup de cas, ces projets bénéficient de financement et d'accompagnement de la banque mondiale, le FMI, la BAD, etc. Ce qui est un véritable avantage puisque ce sont des financements sécurisés. Si vous faites votre travail vous êtes payé à la fin. Cela peut paraître évident, mais ce n'est pas le cas partout. Quand ce sont des organismes internationaux qui financent ces projets, vous êtes sûr d'être payé. Toutefois, il faut rappeler que les délais de paiement dans certains pays peuvent être très longs . Par exemple dans le secteur de l'électricité en Afrique, il y a 25 % de fraude (branchement illégal). Mais ce marché reste loin d'être mature économiquement. Le secteur privé ne peut pas s'y engager. Après ça peut être intéressant s'il y a des institutions ou des bailleurs de fonds qui assurent la couverture.

Quelle différence entre l'approche des grands groupes et des PME qui veulent se positionner en Afrique ?

Les approches sont effectivement différentes. Les PME vont plutôt exporter leurs marchandises avec des distributeurs alors que les grands groupes sont dans une logique de filiale. Le risque n'est évidemment pas le même. Si on exporte, le pire, c'est qu'on ne soit pas payer pour la dernière livraison. Si je construis des bâtiments ou si j'achète des terrains, là l'investissement est beaucoup plus important.

Quel est le secteur le plus délaissé par ces entreprises mais qui a de l'avenir en Afrique ?

L'assurance. C'est un secteur dont la pénétration reste assez faible sur le continent. Aujourd'hui, seule une proportion de 2% des africains ont une couverture assurance, contre plus de 90% dans les pays développés. Si l'on exclut l'Afrique du sud et le Rwanda, le continent reste un territoire vierge pour le développement de l'assurance. Il faut savoir que dans beaucoup de pays, il n'existe pas de système de sécurité sociale. Une situation qui peut s'expliquer par le facteur culturel. Il n'empêche que le concept de l'assurance est encore étranger dans certains pays. « Payer de l'argent pour prévenir contre un risque qui peut ne pas arriver », est un concept assez compliqué à intégrer dans certains pays. Le marché n'est pas facile à remodeler, mais il y a beaucoup de choses à faire.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.