Bourses : le dynamisme africain à l'épreuve de la liquidité et du financement des PME

De Casablanca à Johannesburg, de Nairobi à Lagos, les places boursières africaines ne lésinent pas sur les efforts à fournir afin d'émerger et de démocratiser la finance par les marchés boursiers. La prise de conscience des freins à leur développement les pousse à multiplier les pistes pour une éclosion plus importante, en dépit d'une conjoncture et d'une réalité économique pas toujours au rendez-vous.
Ristel Tchounand

Dynamiques. C'est le terme le plus approprié pour qualifier les marchés financiers africains en ce moment. Après les multiples études sur ce que l'Afrique aurait à gagner en développant ses marchés de capitaux, les autorités financières africaines tentent de s'activer pour rattraper le temps perdu. Ce dynamisme s'est illustré notamment à travers l'élargissement de certaines bourses ou même la création d'autres places financières.

En effet, alors qu'elles étaient moins d'une dizaine au début des années 1990, l'Afrique compte aujourd'hui 27 places boursières, dont près d'une vingtaine disposent d'une activité réelle. Et d'autres projets de création sont en gestation, çà et là, à travers le Continent. Des pays comme la Guinée et la Gambie, dans la sous-région ouest, ont déjà enclenché le processus qui devrait, en principe, aboutir au lancement effectif de leurs activités courant 2017.

Pour cadrer ce processus, la Banque africaine de développement (BAD) a signé, en juillet 2016, avec l'Association des bourses de valeurs africaines (ASEA en anglais), un protocole d'accord d'une durée de cinq ans. Objectif : harmoniser les stratégies de ces deux institutions afin de davantage mobiliser des fonds pour financer la croissance économique des pays africains, pour ainsi contribuer à « mobiliser l'épargne domestique et faciliter l'accès au financement par le biais des marchés de capitaux pour les PME qui constituent la plus grande partie du secteur privé africain », expliquait alors l'Institution régionale présidée par le Nigérian, Akinwumi Adesina.

Quatre mois plus tard, en novembre, l'ASEA tenait sa XXe conférence annuelle à Kigali, en présence des représentants du marché financier continental. Là encore, l'accent a été porté sur la nécessité pour ces institutions financières de relever leur niveau, afin de jouer pleinement leur rôle au sein de l'économie africaine en évolution permanente. L'organisation régionale a même tracé un plan à l'horizon 2030 : renforcer la pertinence des marchés financiers par rapport à l'économie réelle du Continent. En clair, il s'agit de trouver des idées fortes pour faire face aux problèmes réels auxquels sont confrontés les marchés africains de sorte à les faire émerger au niveau international.

Comment « liquéfier » les marchés ?

De manière générale en effet, l'un des plus gros problèmes des places boursières africaines est celui de la faible liquidité. Jusqu'ici, seuls l'Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, l'Égypte se démarquent particulièrement. Entre 2002 et 2006 à titre d'exemple, le ratio de liquidité du marché des actions sud-africain oscillait entre 37% et 44%, soit une moyenne de 40%, tandis que celui d'Égypte affichait en moyenne 29%. Au Maroc - une autre place devenue très dynamique ces dix dernières années - ce ratio était de 17% et de 12% pour la Tunisie, 10% pour le Nigeria, 7% pour le Kenya et 5% pour l'Île Maurice, tandis que les autres marchés des actions du Continent dégageaient un ratio de liquidité moyen inférieur ou égal à 3,5%, selon une étude de Médard Amévi Atiopou, analyste financier et DG du cabinet consulting panafricain PAZISMA. Et ces dernières années, la situation ne s'est pas particulièrement améliorée. Si l'Afrique du Sud reste l'exception, le Maroc, qui est monté jusqu'à 20% en 2007, a vu son ratio de liquidité chuter autour des 6% voire moins depuis 2015. Or, la liquidité est capitale pour l'activité du marché financier.

« La liquidité donne une bonne indication sur la facilité avec laquelle un investisseur peut entrer et (ou) sortir d'un marché. Plus le ratio de liquidité est élevé, plus liquide est le marché et plus ce dernier peut attirer des investisseurs », explique l'analyste financier.

« Collectivement, les marchés d'actions africains représentent 12% des marchés émergents mondiaux, mais attirent moins de 2% des investissements de portefeuille. Une telle disproportion est due pour l'essentiel à la liquidité relativement faible des marchés africains et à la difficulté d'accéder à des données et à des analyses financières de qualité sur un grand nombre de sociétés et d'émetteurs africains », appuie Cyrille Nkontchou, CEO et fondateur du gestionnaire d'actifs Enko Capital dans une analyse intitulée La récente montée en puissance des marchés financiers africains et publiée en mars 2010 dans la revue de Proparco.

Ce qui explique notamment la présence relativement dominante des multinationales et des grands groupes étrangers sur la majorité des places africaines. De façon générale, ce sont ces dernières qui portent les bourses locales. Et pour cause, leurs objectifs et investissements sur le long terme dans les marchés africains leur laissent le temps de recouvrer leurs mises. Or, ce type d'entreprises reste minoritaire dans le tissu économique régional. En effet, selon une étude du Centre pour la recherche économique et ses applications en France, les PME représentent plus de 90% de l'ensemble des entreprises et parmi elles, 70 à 80% sont de très petites entreprises. Mais ce sont elles qui génèrent le plus d'emplois (après l'agriculture), d'investissements et même d'innovations.

Les PME toujours hors-jeu

Jusqu'ici, leur financement via les marchés financiers reste une problématique dans la majorité des pays africains. Si de nombreuses autres possibilités sont de plus en plus mises en avant (avec le crowdfunding par exemple), les places boursières ne désespèrent pas de devenir une référence de choix pour les PME en quête de financement.

C'est le cas du Maroc. Depuis quatre ans, le royaume chérifien, qui tente de dynamiser et surtout d'adapter son marché financier à son tissu économique, s'est lancé dans une campagne de sensibilisation nationale visant à attirer les PME sur la place boursière. Plus qu'une question d'élargissement de cette bourse qui compte 75 sociétés cotées, les autorités de tutelle ambitionnent de briser les barrières culturelles qui empêchent les patrons d'ouvrir leurs entreprises aux marchés des capitaux. Dans un tissu économique encore dominé par la culture de l'entreprise familiale, la bourse reste un mystère pour ces entrepreneurs attachés à la tradition. Dans cet élan de sensibilisation et d'information, les efforts ont abouti, en octobre 2016, à la signature d'une convention entre la Bourse de Casablanca et l'Agence nationale pour la promotion des petites et moyennes entreprises (Maroc PME), dans le but de développer l'accès des PME au financement via le marché des capitaux. Et si, au Maroc, les PME résistent encore au marché boursier parce qu'elles trouvent leur financement auprès des banques qui - soulignons-le - ne manquent pas d'idées pour les séduire, sous d'autres cieux, les PME ont du mal à accéder au financement bancaire.

« Les PME africaines font effectivement face au problème de financement pour leur développement, les banques sont encore relativement frileuses à l'idée de leur prêter, et lorsque c'est le cas, les taux sont souvent trop élevés, et la situation ne risque pas de s'arranger avec le boom des startups africaines. [...] Je pense que les marchés financiers constituent également une réelle alternative au financement des PME, plusieurs bourses africaines ont créé ces dernières années des compartiments dédiés aux PME. Avec des conditions d'introduction allégées, ces entreprises peuvent ainsi lever des capitaux pour leur développement ou leur expansion, mais également renforcer leur visibilité », explique dans un entretien avec La Tribune Afrique Romuald Yonga, CEO et fondateur d'African Markets.

Une question de temps

En Afrique anglophone en effet, les places boursières tentent de résoudre la problématique du financement des petites et moyennes entreprises en créant des compartiments dédiés. C'est le cas de la Nairobi Stock Exchange avec son Growth Enterprise Market Segment (GEMS) lancé en 2013 avec pour objectif d'attirer trois à quatre PME supplémentaires au marché boursier chaque année, pour atteindre 40 PME d'ici à 2023. Le programme n'en a pour l'heure attiré que cinq, mais l'Autorité kenyane du marché des capitaux ne compte pas s'arrêter là. Elle a organisé les 30 et 31 mars derniers un forum consacré à la formation commerciale et au conseil qui devrait drainer un plus grand nombre de PME.

Plus au sud de l'Afrique, en Zambie, la Bourse des valeurs de Lusaka a, elle aussi, lancé en 2014 sa LuSE-Alternative Market, avec toujours l'objectif de drainer le maximum de PME émergentes vers le marché des capitaux. Idem à l'ouest du Continent où le Nigerian Stock Exchange s'est également prêté à l'exercice avec l'Alternative Securities Market (ASeM) mis en place en 2013. La multiplication des efforts « avec persévérance » laisse espérer, sur le long terme, de meilleurs jours, de meilleures capitalisations et de meilleures performances pour les places africaines. C'est en tout cas l'avis de Romuald Yonga qui suit de très près l'évolution de l'ensemble des bourses africaines : « Il ne s'agit que d'une question de temps. Et il en faudra plus ou moins selon les différentes mesures prises par celles-ci ».

Deux questions à Romuald Yonga, CEO et fondateur d'African Markets

LA TRIBUNE AFRIQUE - Quelles sont les bourses qui participent aujourd'hui le plus au financement des entreprises locales ?

Romuald Yonga : Tout dépend du point de vue. En termes de volume des échanges, on peut citer sans aucun doute celles de Johannesburg (JSE), du Nigeria (NGSE), d'Égypte (EGX), en raison principalement de leur maturité et du nombre de sociétés cotées. Je préfère vous parler des bourses de taille relativement moyennes mais des plus prometteuses qui ont le plus attiré mon attention ces dernières années. Premièrement la bourse de l'UEMOA, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) basée à Abidjan, elle a connu plusieurs évènements majeurs ces dernières années qui en font pour moi l'une des plus prometteuses : meilleure performance de son indice principal en 2015 avec +17,77 %, intégration de l'indice Marchés frontières du MSCI, création d'un compartiment dédié à la finance islamique avec la cotation de cinq sukuks en 2016, lancement de son nouveau site web et application mobile, sans compter le succès des actions de promotion de la bourse à l'international tels que les « BRVM Investment Days ». Le Nairobi Securities Exchange au Kenya, avec ses 67 sociétés cotées, peut paraître petit mais il s'agit de l'une des plus liquides et innovantes d'Afrique.

Après plusieurs mois de report, la bourse va introduire cette année des produits dérivés, permettant aux investisseurs de diversifier leur portefeuille ou de se couvrir contre les risques de marché. Le NSE organise également chaque année, avec succès, le « NSE Investment Challenge ». En 2016 la bourse nigériane a annoncé le lancement d'un indice sur la gouvernance des sociétés cotées, prenant en compte les critères sociaux et environnementaux. En plus d'un compartiment dédié aux PME, elle a également créé un compartiment dédié aux Fonds de placement immobilier. Même si la bourse du Nigeria a connu une année 2016 difficile du fait de la chute du Naira, elle reste pour moi une des bourses clés du Continent.

Elle multiplie depuis quelques années les dispositions afin d'améliorer la transparence du marché, accroître la confiance des investisseurs et pallier le problème de liquidité : lancement du « market making » en 2012 pour stimuler la liquidité, lancement de plusieurs portails : « whistleblowing portal » en 2014 (signalement et dénonciation), « Smart Trade » en 2015 (plateforme de trading et d'information boursière), « X-BOSS » (système de supervision et de surveillance des courtiers).

Y a-t-il selon vous des pistes non encore exploitées par les autorités financières pour résoudre les problématiques inhérentes aux places africaines ?

Je pense qu'une piste non négligeable mais non encore exploitée par la plupart de nos bourses, gouvernements, régulateurs est celle des novices et des populations africaines. La stratégie jusqu'ici est plutôt axée sur les institutionnels et les investisseurs étrangers, c'est-à-dire des investisseurs aguerris, qui maîtrisent les marchés financiers. Mais c'est insuffisant, à mon sens, pour stimuler la liquidité. On ne peut se passer de la population africaine, surtout avec sa classe moyenne grandissante, population qui d'ailleurs est très intéressée par les bourses d'après mon expérience.

Mais il faut savoir que ça reste encore un milieu très mystérieux pour beaucoup, c'est la raison pour laquelle je pense que l'éducation et l'information sont la clé pour pallier le problème de liquidité. Il faudrait leur expliquer ce qu'est une bourse, comment elle fonctionne, actions, obligations, dividendes, IPO, autorités de marché etc... Leur expliquer qu'on peut y gagner de l'argent et que leurs investissements y sont sécurisés. Je pense par exemple à des sessions « gratuites » de formation dans les locaux des bourses, des émissions TV d'éducation boursières, des stands dans les villes, des évènements dédiés, des portails d'e-learning, etc. Ainsi, ceux-ci viendront investir en Bourse, et je fais le pari que nos bourses verront une hausse significative de la liquidité.

Quelques bourses ont d'ailleurs déjà pris des mesures dans ce sens, entre autres, la bourse d'Afrique de l'Ouest (BRVM) qui organise des actions d'éducation boursières, ou encore la Bourse de Tunis qui a lancé en 2015 son portail d'e-learning « Investia Academy », suivi de la Bourse de Casablanca en 2016. Une autre piste serait de faciliter la double cotation entre bourses africaines, par exemple qu'une société cotée au Botswana puisse facilement, si elle le souhaite, être cotée à la bourse de Namibie, ou du Zimbabwe, et inversement. Ceci est déjà le cas en Afrique de l'Est, le système de double cotation y est très avancé, entre les Bourses de Nairobi, Rwanda, Tanzanie et Ouganda.

Ristel Tchounand

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