En Afrique, l’autre bataille des Rothschild

Entre ces deux maisons, c’est une rivalité ancienne, de celles qui ont été mâtinées par des décennies d’intrigues familiales pour exploiter ce nom mythique. Et leur nouveau champ de bataille a un nom : l’Afrique.

C'est désormais aussi sur le continent que se joue une compétition sourde entre deux établissements concurrents aux noms approchants, sur fond de ralentissement de leurs activités traditionnelles dans les marchés européens, asiatiques et américains depuis la crise financière de 2008.

D'un côté, le prestigieux -et plusieurs fois centenaire- Groupe Edmond de Rothschild, ex compagnie Financière Edmond de Rothschild, avec siège à Genève, spécialisé majoritairement dans la gestion de fortune et dirigé depuis 2015 par Ariane de Rothschild, une ancienne cambiste de la Société Générale. Cette dernière est arrivé à la tête du groupe après en avoir gravi plusieurs échelons, mais surtout -disent certaines mauvaises langues- après avoir épousé l'héritier d'Edmond de Rothschild, Benjamin, que le magazine « Le Point » qualifiait dans un portrait de  « redoutable financier » mais dont il se raconte qu'il serait peu intéressé par la gestion de ce mastodonte financier qui gère près de 160 milliards de francs suisses.

Ariane de Rothschild

Face à cette vénérable maison, l'établissement Rothschild & CIE, dirigée par David De Rothschild, fils de Guy, qui vient de remporter le pilotage de la  privatisation de la Banque de l'Habitat de Côte d'Ivoire (BHCI).

Un partage des rôles entre Conseil et gestion d'actifs

Spécialiste des fusions et acquisitions, Rothschild & CIE a été créée en 1983 après la nationalisation de la banque Rothschild par François Mitterrand. En trente ans, ce qui fut à l'origine un établissement modeste va connaître une ascension fulgurante, se payant même le luxe de reprendre la branche anglaise au milieu des années 2000 avant d'absorber la banque Martin Maurel il y a deux ans.

Selon des sources proches de David de Rothschild, l'envie de revanche sur le pouvoir socialiste aura été le « meilleur catalyseur » pour créer et développer cet établissement qui a vu défiler parmi ses employés des personnalités aussi emblématiques que Lionel Zinsou ou un certain Emmanuel Macron...

Pendant des années, entre les deux entités, une règle non-écrite, sorte de pacte de non-agression, définissait les rôles de chacun. Le Groupe Edmond de Rothschild se focalisait sur son cœur de métier, la gestion de fortune et l'Asset Management. Rothschild & CIE,  quant à elle, concentrait l'essentiel de ses efforts sur les fusions et acquisitions et le conseil, piloté pendant longtemps Arielle Malard, l'épouse d'un autre héritier Rothschild, Edouard.

Secondée par un banquier expérimenté, Jean-Pierre Saltiel, Rothschild Conseil International va réussir plusieurs opérations d'accompagnement importantes en Afrique, en Amérique latine et dans les marchés émergents durant la première moitié des années 2000, épaississant d'autant les références de la plus jeune des institutions Rothschild et lui taillant une réputation de spécialiste des pays émergents.

Avec l'irrésistible ascension d'Ariane au sein de ce qui s'appelait encore Compagnie Financière à partir de 2011, les relations entre les deux banques vont se tendre peu à peu,  officiellement à cause d'une utilisation jugée abusive du nom « Rothschild ».

En effet, un consensus familial interdisait de facto à chaque établissement de la famille d'utiliser le nom Rothschild seul. Or, en 2014 un rapport annuel de Rothschild & CIE fait mention de « Groupe Rothschild ». Inacceptable pour l'établissement genevois qui y voit une tentative larvée de son rival de préempter seul le nom. Dès son arrivée à la tête du groupe en 2015, Ariane décoche ainsi ses premières flèches, portant en justice l'affaire, fait inédit dans une famille qui a toujours préféré régler ses différents -même les plus véhéments- en privé.

Bataille des réseaux africains

En parallèle, une autre bataille qui ne dit pas son nom se livre en Afrique entre les deux entités. En effet, toutes deux doivent faire face à un changement brutal de leur environnement des affaires dont l'origine est à trouver lors de la grande crise de 2008. Pour continuer leur croissance, elles choisissent de concentrer une partie de leurs efforts sur le continent, où beaucoup reste à faire dans leurs domaines. Du coup, elles deviendront concurrentes sur tous les segments de leurs activités, et plus question pour chacune de rester dans son pré carré.

En effet, pour le Groupe Edmond de Rothschild, l'activité très lucrative de gestion de fortune et d'Asset Management est menacée à la fois par des réglementations bancaires internationales de plus en plus strictes - qui l'entravent dans sa quête de nouveaux clients- et par l'abandon progressif du secret bancaire en Suisse. Autrefois Alpha et Oméga des Ultra High Net Worth Individuals (UHNWI), ces derniers préfèrent désormais à la confédération helvétique les charmes discrets des banquiers de Singapour ou de Dubaï.

Pour contrer ce mouvement et se positionner en Afrique, Ariane de Rothschild va agir en deux temps. La première percée se fera à travers un fonds d'investissement associé à sa banque, Amethis Finance, créé en 2011 et dont la gestion est confiée à Luc Rigouzzo. Très rapidement, cet ancien de la Proparco et du quai d'Orsay met au service d'Amethis ses connexions africaines et réussit à entrer au capital de plusieurs entreprises du continent sous-valorisées. Avec Ariane, il forme un tandem huilé pour séduire les acteurs économiques du continent, souvent attirés par le prestige du nom Rothschild et par l'entregent actif de la Baronne.

Botte secrète et diversification

A quelques encablures de sa prise de pouvoir début 2015, Ariane de Rothschild dégaine sa botte secrète en la personne d'Olivier Colom, ancien conseiller diplomatique adjoint de Nicolas Sarkozy, qui travaille depuis 2013 au sein de la banque en qualité de conseiller pour les affaires internationales. Sitôt à la tête du groupe, elle le bombarde secrétaire général de l'établissement et  lui confie la mission de mener l'offensive sur le continent et les marchés émergents avec un seul mot d'ordre : diversification. Las, près d'un an plus tard, Colom est débarqué alors que la Banque continue son processus de transformation de son business model.

Parallèlement, l'ambitieuse baronne continue à tisser sa toile auprès des dirigeants africains, avec la complicité de son mari, Benjamin, qui semble se prêter au jeu de bonne grâce. En Juin 2015, il sera reçu officiellement par le Président camerounais, Paul Biya, que l'on dit pourtant avare d'apparitions publiques. Tout un symbole de la capacité des Rothschild a pénétrer l'un des cénacles les plus fermés d'Afrique.

Benjamin De Rothschild et Paul Biya

Des positions à consolider

Côté Rothschild & CIE, la montée en puissance lors des dix dernières années de Lazard en Afrique, menée par Mathieu Pigasse, a fait craindre à la banque qu'elle ne perde ses positions historiques et son capital relationnel sur le continent. Or, depuis 2006, Arielle Malard (désormais divorcée de son époux) s'occupe de l'Europe, ce qui prive l'établissement de relais précieux, notamment au Maghreb. Malgré cela, Rothschild & CIE a réussi quelques coups fumants sur le continent, essentiellement en Côte d'Ivoire. A Abidjan, la banque s'est vu confier la gestion de la dette depuis 2014 et la privatisation de Versus Bank en avril 2016. A la manœuvre pour ces opérations ivoiriennes, le vice-président Europe du groupe, Jean Claude Meyer, un proche de François Hollande qu'il a côtoyé à HEC. Le groupe dispose également de contrats en Tanzanie, en Afrique du sud et au Ghana.

Mais pour les deux établissements, ces positions africaines restent toutefois relativement fragiles, sur fond d'accroissement de la concurrence et d'émergence de nouveaux acteurs locaux, souvent fondés par des africains de la diaspora. Ces derniers ont souvent fourbi leurs armes au sein de grandes institutions financières internationales et disposent d'une assise locale plus forte.

Avantage au Groupe Edmond de Rothschild

Paradoxalement, alors qu'il est historiquement moins bien outillée que son rival dans des domaines techniques et complexes tels que les Fusions et Acquisitions, le Groupe Edmond de Rothschild bénéficie d'un avantage compétitif  en matière de détection des bonnes affaires  grâce à son véhicule de capital investissement qu'est Amethis Finance. Reste que ce dernier n'est pas à l'abri des mauvaises surprises : en avril dernier, la banque centrale Kenyane plaçait sous tutelle Chase Bank, dont Amethis est actionnaire depuis 2013, suite à une crise de liquidités de cette dernière qui a entraîné un vent de panique chez les déposants.

Dans ce contexte, les années à venir promettent d'être riches en rebondissements en Afrique entre les deux frères ennemis de la finance.

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Commentaires 3
à écrit le 20/08/2018 à 22:17
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Lundi 20 aout 2018 Start-up Agroalimentaire industrie Hargeisa Somaliland ...

à écrit le 04/11/2016 à 5:27
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Dans ce genre de conflit, il y a rarement un vainqueur. L'histoire peut encore et tjrs en temoigner.

à écrit le 03/11/2016 à 12:40
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Hé oui les banques ont bien 5 siècles d'existence, avec donc des rentiers remontant depuis le moyen age il ne faut pas s'étonner d'avoir une économie du moyen age.

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