Transport aérien africain : le décollage plombé par la « déconnectivité »

Le transport aérien est traditionnellement le meilleur allié du tourisme, puisque 54% des touristes sont transportés vers leur destination à bord d'avions. La faible connectivité aérienne du continent (2,2% du trafic mondial) explique dans une certaine mesure la faiblesse des parts de marché du continent dans le tourisme mondial, avec juste 5% des arrivées, soit quelque 58 millions de touristes en 2016.
Amine Ater

Avec l'Asie et la région du Pacifique, l'Afrique fait partie des destinations touristiques à avoir enregistré une forte progression en 2016. L'année dernière, le continent a accueilli 58 millions de touristes, soit 5% des parts du marché mondial, selon l'Organisation mondiale du tourisme (OMT). Cette légère progression par rapport aux années précédentes n'a toutefois en rien perturbé le classement «traditionnel» des destinations mondiales : en 2016, l'Europe a attiré 615 millions de touristes, soit 50% de parts du marché mondial.

De faibles ratios

La différence de poids entre ces deux destinations s'explique en partie par la connectivité. En effet, là où l'Europe jouit d'une multitude de liaisons aériennes, l'Afrique reste mal desservie par rapport aux autres régions. Sachant que 54% des touristes ont recours au transport aérien, une faible connectivité représente un frein majeur au secteur touristique africain. Selon l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), la contribution économique du transport aérien (directe ou indirecte) au secteur du tourisme s'est établie à 2,7 trillions de dollars en 2015.

En termes de revenus passager/km à l'échelle mondiale, le continent n'a enregistré qu'une part de 2,2% en 2015, contre 31,9% en Asie, 26,7% en Europe, 24,7% en Amérique du Nord, 9,2% au Moyen-Orient ou encore 5,3% en Amérique latine. La même année, le secteur aérien africain a assuré le transport de 74 millions de voyageurs, pour 1 million de départs depuis le continent. Ce qui représente 149 milliards de dollars de revenus passager/km. Au niveau de la distribution du trafic, l'Afrique n'a enregistré que 1% de trajets domestiques et 3% pour les vols internationaux.  Cette faible pénétration du transport aérien en Afrique bride le potentiel touristique de la destination. A titre d'exemple, les rentrées touristiques du continent se sont établies, en 2015, à 33 milliards de dollars en 2015, pour 53 millions de touristes, soit 4% de parts de marché. Sur la même période, l'Asie et l'Europe ont engrangé, respectivement, 419 milliards et 448 milliards de dollars, pour des parts de marché de 34% et 36%. Ces destinations ont par ailleurs enregistré 608 millions d'arrivées pour l'Europe et 279 millions en Asie. A noter que cette dernière destination arrive à capitaliser presque autant que l'Europe avec plus de la moitié de ses arrivées.

Recettes et destination impactées

Cette «discrétion» de la destination Afrique peut également s'expliquer par la faible pénétration du low cost, alors que celui-ci est connu pour son effet catalyseur dans les zones qu'il desserve. En Europe et en Asie, le low cost accapare respectivement 33,7% et 25,5% et 27,8% des parts de marché de l'arien. Du côté africain, la part des compagnies low-cost s'établit à 12% juste après la «très premium» destination du Moyen-Orient (12,5%). Il n'empêche que l'OACI table sur une croissance annuelle de 5,8% des routes aériennes reliant l'Afrique à la zone Asie-Pacifique, durant les trente années à venir.

En 2016, sur les 58 millions de touristes ayant choisi l'Afrique, 18% se sont dirigés vers le Maroc, 17% vers l'Afrique du Sud et 10% vers la Tunisie. Les trois pays sont connus pour leurs efforts consentis dans l'amélioration de la connectivité aérienne, notamment par les investissements dans les infrastructures.

Côté recettes, le top 3 de 2015 diffère de celui des arrivées. En effet, sur les 33 milliards de dollars engrangés, c'est l'Afrique du Sud qui arrive en tête avec un total de 25%, suivie du Maroc (19%), puis la Tanzanie qui ferme la marche avec 6% du chiffre d'affaires de l'activité. Et bien que cette dernière n'ait réalisé que 2% des arrivées internationales, les décideurs de Dodoma semblent avoir trouvé la formule pour capitaliser sur ces arrivées, alors que la Tunisie, par exemple, s'est enfermée dans le circuit balnéaire low cost, bien qu'elle ait réalisé 10% des arrivées.

Ressusciter la Décision de Yamoussoukro ?

Une montée en régime de l'industrie du tourisme en Afrique reste tributaire d'une meilleure connectivité aérienne. En témoigne, les déclarations conjointes de l'OACI et de l'OMT qui soulignent la nécessité de mettre en place une réelle coordination entre les deux secteurs. Pour les deux organisations, la mise en place de programmes de coopération inter-régionaux, entre les organismes responsables du tourisme et du transport aérien, représente une manière d'améliorer et renforcer les conditions nécessaires à un développement durable et efficient du tourisme en Afrique.

L'amélioration et le renforcement de l'ensemble de la chaîne de valeur du tourisme, particulièrement ce qui touche au transport aérien, font également partie des recommandations des organisations internationales, comme prérequis à l'accroissement de la compétitivité du secteur du tourisme. La mise en place de conditions favorables pour atteindre des tarifs aériens plus accessibles, la révision de taxes inadaptées ou encore la modification de régime de visas restrictifs est autant de mesures qui pourraient signifier plus d'arrivées pour la destination Afrique.

Les pays africains s'étaient accordés dès 1999 en promulguant la Décision de Yamoussoukro à s'engager vers un renforcement du transport aérien au niveau continental. Un accord qui n'a jamais été appliqué de manière effective. Bien que cette feuille de route date de 1999, ses recommandations restent d'actualité, notamment celle prônant la mise en place de partenariats public-privé. La Décision rappelle également le rôle «essentiel» des transporteurs aériens, des aéroports et des autorités touristiques qui se retrouvent confrontées à des modèles de gestion en pleine évolution et à des environnements concurrentiels.

Les Etats et les opérateurs sont également appelés à se concerter pour faciliter la mise en place de taxes «intelligentes», de manière à éviter toutes répercussions inutiles et préjudiciables du régime de taxes, droits et redevance sur les secteurs du transport aérien et du tourisme. L'investissement en infrastructures non matérielles (technologie et ressources humaines) fait aussi partie des mesures implémentables pour promouvoir la destination et combler l'écart entre les politiques de tourisme et de transport aérien.

Il n'empêche que le secteur de l'aviation civile dispose d'un potentiel économique réel en Afrique et le continent dispose des deux principaux ingrédients nécessaires à son essor : la croissance économique et une urbanisation accélérée. En effet, le PIB africain devrait progresser, annuellement, de 4,5% entre 2014 et 2034.

L'Afrique de l'Est montre la voie

L'un des freins majeurs au développement du secteur aérien en Afrique réside également dans l'inaccessibilité au financement, notamment pour la constitution d'une flotte aérienne. Contrairement aux marchés européens, nord-américains et asiatiques, l'Afrique ne compte que très peu d'entreprises spécialisées dans le leasing d'avion et la plupart des banques locales ne disposent pas de capitaux suffisants, ou alors imposent des taux d'intérêts prohibitifs pour financer l'acquisition d'équipements aériens qui restent très coûteux.

Certains pays ou compagnies aériennes recourent aux agences de crédits à l'exportation pour financer l'achat d'appareils directement dans leur pays de construction. Ces structures permettent de financer l'achat d'un avion à hauteur de 85% de son cout total. A ces structures s'ajoutent les Initiatives financières de développement (IFD), susceptibles d'apporter des compléments de financements, notamment pour les compagnies à faible chiffre d'affaires.

Toutefois, avancer des fonds à des compagnies aériennes qui risquent de disparaître représente un risque pour l'IFD -les faillites d'Air Afrique, Air Gabon, Ghana Airways et de Nigerian Airways sont encore dans toutes les mémoires. Mais un risque qui peut être couvert par les avions que possèdent les compagnies. Ceux-ci constituent alors des actifs d'une valeur non négligeable, susceptibles de servir de garanties, et  facilement redéployables vers d'autres destinations. L'appui financier sera alors de court terme pour l'acquisition d'un appareil, ou encore des budgets alloués à moyen et long termes et destinés à des projets d'infrastructures.

Cette forme d'appui financier, on la retrouve notamment dans la zone Comesa (marché commun de l'Afrique orientale et australe), via la PTA Bank. L'institution a en effet consacré 660 millions de dollars au financement de l'aviation en Afrique entre 2005 et 2015. Sur la liste des principaux bénéficiaires, trois compagnies accaparent 96% de l'enveloppe allouée : Rwandair, Ethiopian Airlines et Kenya Airlines. La banque peut octroyer des prêts «seniors» directs pour le financement de projets d'infrastructure à long terme, comme elle peut recourir à des prêts subordonnés et des prêts «mezzanines» pour soutenir des projets qu'elle aura jugés prometteurs. Et c'est justement en Afrique de l'Est et australe que l'on enregistre le plus important taux de croissance du trafic aérien. Deux régions où l'on retrouve les trois principaux hubs d'Afrique subsaharienne (Addis-Abeba, Nairobi et Johannesburg). Du côté de l'Afrique de l'Ouest et du Centre, cette croissance est plus faible, notamment après la disparition de plusieurs transporteurs nationaux et régionaux.

Un contraste entre les différentes zones du continent qui fait que les trajets demeurent loin de la portée de l'Africain moyen, les zones desservies limitées et les connexions intra-africaines limitées. Pour les fonds internationaux et les bailleurs traditionnels du continent, la libéralisation de l'espace aérien africain a été freinée par les Etats désireux de protéger leurs compagnies nationales. Ce qui aurait réduit la connectivité, le nombre de liaisons proposées et poussé le prix du billet à la hausse, ce qui est loin de faciliter la tâche aux opérateurs touristiques du continent. Parallèlement, l'accord conclu entre l'Afrique du Sud et le Kenya portant sur l'ouverture de l'espace aérien a permis l'augmentation du trafic de passagers de 69%, alors que l'autorisation accordée à des opérateurs low cost de rallier l'Afrique du Sud et la Zambie s'est traduite par une baisse des tarifs, permettant une hausse de 38% du trafic de passagers.

Le marché chinois sauvera-t-il l'aérien africain ?

Les ressortissants chinois sont la nouvelle coqueluche de l'industrie touristique. Ils représentent une réelle manne que les grandes destinations touristiques espèrent capter et fidéliser. La Chine représente depuis 2014, le premier marché émetteur de touristes au monde, avec plus de 100 millions de voyageurs et 165 milliards de dollars de dépenses touristiques à l'étranger. Cette nouvelle donne a poussé pas moins de 110 pays à faciliter les procédures d'octroi de visas aux touristes chinois. A ce jour, l'Asie reste la principale destination des Chinois, bien que l'intérêt de cette catégorie pour la destination Afrique devient de plus en plus important. En termes de trafic aérien, l'Afrique du Sud, l'Egypte, le Kenya, l'Ethiopie, Maurice et le Maroc sont les plus importants hubs africains connectés à la Chine. L'Afrique du Sud, l'Egypte, le Nigeria et l'Algérie représentent quant à eux les pays ayant le plus de flux de passagers avec la Chine, via les transporteurs nationaux et les compagnies internationales.

Amine Ater

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.