Casablanca Arbitration Days 2017 : l’arbitrage africain se cherche une place au soleil

Le recours à l’arbitrage comme mode alternatif de règlement des litiges entre acteurs économiques prend de plus en plus d’ampleur en Afrique, engendrant une intense concurrence entre institutions d’arbitrage internationales. Sauf que dans cette dynamique, les arbitres africains manquent encore de visibilité. L’Afrique devra pourtant savoir trouver sa voie en la matière afin de rendre son économie encore plus attractive d’autant que les défis ne manquent pas pour les arbitres et institutions intervenant sur ce marché de plus en plus attractif et donc concurrentiel.

C'est un constat qui a fait quasiment consensus tout au long de la 3e  édition de « Casablanca Arbitration Days » qui a démarré ce vendredi dans la capitale économique du Maroc : l'arbitrage a de plus en plus le vent en poupe en Afrique. La multiplication des centres d'arbitrage sur le continent à laquelle on assiste aujourd'hui vient attester cette tendance et conforte ainsi l'adhésion à grande échelle des économies africaines à la Convention des nations unies sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères adoptée à New York le 10 juin 1958. Le chemin a été certes long depuis 1958 où le Maroc a ratifié la dite convention devenant ainsi le premier état africain et arabe à le faire mais aujourd'hui, seuls quelques pays du continent manquent encore sur la liste des 157 Etats signataires.

La RDC et l'Angola ont été les derniers de la liste à rejoindre la dite convention qui pose les jalons de l'arbitrage international comme mode alternatif des règlements des litiges entres acteurs économiques c'est-à-dire en matière d'investissements ou de commerce. L'Ethiopie, l'un des derniers des mohicans, s'apprête également à le faire dans les prochains mois et le processus est déjà bien engagé s'est réjoui d'ailleurs celle qui en a fait l'annonce, Alisson Ross, éditrice de la revue londonienne Global Arbitration (GAR). « On assiste à un engouement sans précédent du recours à l'arbitrage en Afrique, concomitant à l'émergence du continent » fait remarquer à juste titre Said Ibrahimi, CEO de Casablanca Finance City (CFC) qui parraine l'événement organisé sous l'égide du Centre international de médiation et d'arbitrage de Casablanca (CIMAC).

La partie invisible de l'iceberg

A ce jour, le continent compte une pléthore de centres d'arbitrage dont certains font même référence à l'international comme en Egypte, au Rwanda, à Maurice ou dans l'espace OHADA. Des institutions qui tentent de tirer leur épingle du jeu dans la rude concurrence que se livrent sur le marché de l'arbitrage et de la médiation des firmes internationales attirées par le potentiel du continent. Un marché juteux au regard des acteurs en jeu mais aussi et surtout des sommes comme l'a reconnu sans ambages, l'avocat Emmanuel Gaillard du cabinet Shearman & Sterling, une des références mondiales en matière d'arbitrage.

« L'arbitrage est un mode de règlement de différents mais c'est aussi un marché qui donne lieu à une concurrence internationale féroce ».  Emmanuel Gaillard

C'est là le principal enjeu pour les arbitres africains ainsi que les institutions d'arbitrage car comme l'a mis en évidence Doroty Ufot, avocat associé au cabinet Doroty Ufot & Co basé à Lagos, « ce n'est pas tant le nombre d'institutions qui compte mais plutôt leur efficacité ».  La partie est sur ce point loin d'être gagnée car si les institutions africaines sont en train de se faire un nom à l'international, il leur reste beaucoup de défis à relever pour faire de ce mode alternatif de règlement des conflits, un accélérateur de l'attractivité économique du continent.

Selon l'avocate nigériane qui est également membre du Centre international d'arbitrage et de médiation de Casablanca (CIMAC), il y a une différence en termes de pratiques. « Aujourd'hui les arbitres africains sont expérimentés et très bien formés. Nous avons également beaucoup d'institutions mais il d'autres défis plus pressants que nous devons lever pour améliorer la pratique dans nos pays ». Selon elle, l'un de ces défis, c'est l'application des sentences prononcées par des arbitres africains qui laisse à désirer dans certains pays. « Beaucoup de pays reconnaissent la convention de New York mais il y a une différence entre reconnaissance et application de l'arbitrage » admet l'avocate qui s'est appuyé sur son pays comme exemple très parlant. « Le Nigéria est signataire de la convention de New York mais il y a beaucoup de difficultés à mettre en œuvre les dispositions et à faire exécuter les décisions par les juridictions nationales qui parfois imposent des limites à l'arbitrage » cite Doroty Ufot qui précise toutefois que l'application des sentences ne dépend pas des centres d'arbitrage. « La reconnaissance est très facile mais la mise en œuvre difficile » concède presque à regret  l'avocate qui reconnait toutefois que « ce n'est certes pas une problématique entièrement spécifique à l'Afrique ».

Défis africains

Le constat est partagé par Alisson Ross sur la difficulté en matière d'application surtout dans les cas où « des intérêts nationaux sont en jeu et beaucoup ». Entendez par là dans les cas, par exemple, entre des Etats et des investisseurs qui se traduisent le plus souvent par le refus de certains gouvernements à mettre en œuvre certaines dispositions ou à appliquer des sentences qui leur sont défavorables. Cependant pour elle, le plus important c'est que « l'Afrique doit disposer de ses institutions et de ses arbitres ainsi que les moyens d'exécuter leurs missions ». Ce qui suppose évidement une bonne dose de volonté politique afin de crédibiliser davantage les acteurs de l'arbitrage sur le continent.

Les défis s'amplifient donc de plus en plus en matière de perspectives pour l'arbitrage en Afrique. Les acteurs ainsi que les institutions d'arbitrage vont devoir chercher leur place au soleil en veillant à prouver leur expertise et leur indépendance, seule alternative pour gagner en efficacité et en crédibilité. Comment alors y parvenir si les acteurs économiques et les Etats africains rechignent à leur faire confiance ? C'est ce que déplore d'ailleurs Leyou Tameru, fondatrice et directrice de I-Arb Africa, une plate-forme en ligne sur l'arbitrage en Afrique, laquelle regrette avant tout le procès d'intention dont sont victimes les acteurs africains de l'arbitrage alors qu'ils ont depuis des années fait leurs preuves et démontré leur efficacité à travers une multitude d'affaires. Un déficit de publicité qui entache la notoriété de l'arbitrage africain et auquel il est essentiel d'y remédier pour faire face à la concurrence. « C'est parce que tout va bien que personne n'en parle » fait remarquer l'experte en arbitrage éthiopienne pour qui « l'idéal serait que des affaires africaines soient traitées par des arbitres africains mais pour cela il faut que nous nous confiance ».

Le modèle marocain, un cas d'école

La bonne nouvelle, c'est que de plus en plus de pays sont conscients que disposer de mécanismes d'arbitrage fiables ne ferait que booster leur attractivité et donc les rendre plus compétitifs. L'un des autres constats qui ressort de la cartographie des centres de référence d'arbitrage en Afrique, c'est qu'ils ont émergé dans le sillage de la montée en puissance des places financières africaines où l'écosystème mis en place pour drainer davantage des investissements leur est plutôt favorable. C'est le cas à Kigali, Nairobi, le Caire ou Maurice et c'est un pari que se lance désormais le CIMAC qui a pris pied dans la capitale économique marocaine, une nécessité presque pour « la première place financière africaine » selon Said Ibrahimi, patron de CFC. D'après lui, en plus de la nécessité d'offrir à leur partenaire des modes de règlement alternatif de litiges « plus fiables et plus rapides », une double exigence se pose aussi en matière d'arbitrage : « la neutralité et l'efficacité ».

Des exigences sur lesquelles la place financière casablancaise compte prioriser dans le cadre de son ambition de se hisser comme la plate-forme de référence pour les investissements en Afrique. Un élan que conforte l'environnement des affaires mis en place au  Maroc ainsi que la stratégie d'ouverture du royaume sur le continent mais aussi à l'international. En la matière justement et c'est Emmanuel Gaillard qui le met en avant, le Maroc constitue une expérience qui peut faire école dans d'autres pays du continent puisque le pays a su créer toutes les conditions, à travers sa législation  favorable à l'arbitrage, ses nombreux accords de libre-échange et une stabilité qui s'ajoute à une position géostratégique pour renforcer la compétitivité du pays. « Un certain progrès reste certes à faire en Afrique subsaharienne avec des traités en matière de réciprocité signés par le Maroc mais non ratifiés ou une partie des régions qui restent encore non couverte » liste-il parmi les défis pour le Maroc afin de pouvoir davantage faire évoluer son écosystème juridique et ainsi sécuriser les investissements des opérateurs marocains mais aussi ceux qui choisissent le Maroc pour investir dans d'autres pays. C'est in fine, le but recherché à travers l'arbitrage : une alternative aux longues procédures judiciaires et qui permet de rassurer les investisseurs. Autant dire un argument d'attractivité de premier plan en ces temps où la dynamique économique du continent va s'accompagner d'une intensification des litiges et autres contentieux. Comme partout ailleurs...

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