Kampala et Nairobi se toisent par pipelines interposés

L’idylle entre l’Ouganda et le Kenya n’aura pas fait long feu. En effet, Kampala met les bouchées doubles pour assurer le financement de son pipeline qui empruntera le territoire tanzanien à défaut de traverser le Nord du Kenya. Un revirement qui tue dans l’œuf la volonté de Nairobi de désenclaver la région grâce au pipeline. En plus de la proximité aux incursions des Shebabs somaliens, Kampala trouve le tracé kenyan moins rentable que l’option tanzanienne. Nairobi pour sa part maintient son projet et annonce même un début de chantier pour 2018.
Amine Ater

Une décennie après la découverte de gisements pétroliers en Afrique de l'Est, les premières tensions sur le sujet commencent à se faire sentir, notamment entre l'Ouganda et le Kenya. Deux pays qui n'ont jamais pu exploiter pleinement leurs réserves à cause d'impératifs sécuritaires. Une situation qui avait poussé Nairobi et Kampala à mutualiser leurs efforts pour mettre en place une ligne pour acheminer la production de 2 bassins vers le littoral.

Un cours de 55 dollars le baril, nécessaire pour rentabiliser les pipelines

Un partenariat qui semble faire partie de l'histoire passée, après que l'Ouganda ait décidé de changer le tracé du pipeline en le déplaçant plus au Sud via la Tanzanie. Une nouvelle ligne qui devra traverser 1.400 km pour atteindre la côte tanzanienne, avec un prix de transit inférieurs à la première piste kenyane. Nairobi compte assurer seule la ligne initiale de 865 km qui débouchera sur un port de l'Océan Indien.

Des projets qui, selon les estimations des analystes de Bloomberg, ont besoin que les cours du pétrole atteignent entre 50 et 55 dollars le baril et que les coûts ou encore les impôts soient au plus bas, pour que les pipelines soient rentables. Une situation budgétaire qui a poussé l'opérateur français Total à débloquer une aide financière en faveur du gouvernement tanzanien. Un geste de Total qui, évidement, est loin d'être désintéressé, vu que l'opérateur détient des participations dans les champs pétrolifères ougandais.

Le projet Ougando-tanzanien devra mobiliser une enveloppe de 4,1 milliards de dollars dont l'étude « front-end » a été confiée par Kampala à Gulf Interstate Engineering. Baptisé Tanga, ce pipeline devrait transporter du brut à partir de 2020. Un gisement découvert en 2006 par Tullow Oil Plc qui revendique une capacité de production de 1,7 milliards de barils dans la zone enclavée du Lac Albert.

Le même opérateur annoncera en 2012 avoir identifié un gisement au Kenya dans le bassin de Lokichar (Sud du Kenya) qui pourrait assurer une production de 750 millions de barils. En combinant les productions kenyanes et ougandaises, la production à plein régime pourrait atteindre quelques 400.000 barils par jour. Une production qui sera à deux tiers pompée des sous-sols ougandais et pourrait porter Kampala vers un revenu de tranche supérieur en 2040 selon la Banque mondiale.

Désenclaver le Nord du Kenya grâce au tracé

Le Kenya table pour sa part sur des rentrées estimées à 650 millions de dollars par an, dès la fin des années 2020, et ce, même si le brut passe à 45 dollars le baril. Le tracé initial voulu par Nairobi devait traverser le bassin aride de Lokichar pour déboucher jusqu'à la ville côtière de Lamu. Un tracé jugé trop dangereux par Kampala qui pointe du doigt le banditisme qui sévit dans la région, la proximité avec la Somalie où les Shebabs résistent encore aux troupes de l'Union Africaine et qui profitent de la porosité des frontières pour mener des incursions.

En plus de l'argument sécuritaire, l'Ouganda reproche au tracé de Lapsset (pipeline kenyan) le coût évalué par Nairobi à 18 milliards d'euros qui couvre la construction d'aéroports, de routes et de lignes ferroviaires dans la région Nord du Kenya, qui reste la zone la moins développée du pays. L'absence de réelles installations portuaires à Lamu fait aussi partie des arguments mis en avant par Kampala pour proposer un nouveau tracé.

Un revirement qui met la pression sur les exploitants des champs pétrolifères kenyans qui devront absolument assurer la viabilité des projets en cours en augmentant les ressources allouées. Une pression que Nairobi maintient également vu la menace que représente un abandon du projet pour les ambitions kenyanes de développer un corridor de transport régional pour 26 milliards de dollars. Sachant que Lapsset comptait transporter le brut éthiopien et sud-soudanais en plus de la production ougandaise et kenyane.

Les opérateurs sous pression

Le gouvernement ougandais semble avoir pris de l'avance sur ce plan, en annonçant que son pipeline répond avant tout à une logique commerciale pour un coût de 12,20 dollars contre 15,90 dollars le baril pour le pipeline kenyan. Une annonce nuancée par Tullow qui situe ce coût à 20 dollars le baril mais en y comprenant les dépenses en forage, construction du pipeline et les coûts d'exploitation. Il n'empêche que Nairobi reste loin de jeter l'éponge et a présélectionné 8 entreprise pour livrer une étude d'ingénierie sur le pipeline dont le début des travaux a été programmé pour 2018.

Une course contre la montre semble être enclenchée entre Kampala et Nairobi pour la mise en service de leurs pipelines respectifs. Là où le Kenya se targue d'avoir une longueur d'avance en termes de financement, l'Ouganda n'aura pas à détacher des troupes et s'acquitter de primes d'assurances exorbitantes pour assurer la protection des prestataires de services qui seront déployés sur le terrain. Kampala peut également se targuer de ne pas avoir à débourser un financement en plus pour la construction de terminaux portuaires équipés pour abriter des réserves conséquentes de brut.

Pipeline Ouganda

Amine Ater

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