Dirty Diesel : le scandale du carburant qui tue !

Dans une enquête d'une centaine de pages, une ONG suisse accable des négociants helvétiques, accusés d'avoir délibérément fourni et distribué dans huit pays africains des carburants hautement toxiques. Ce scandale continental a pris le nom de "Dirty Diesel". Décryptage
Ibrahima Bayo Jr.

L'expression « sentir le soufre » prend ici un sens scandaleux. Quatre négociants helvétiques, Vitol, Trafigura, Addax & Oryx et Lynx Energy ont produit, vendu et livré aux marchés de huit pays africains, des carburants hautement polluants, nocifs et même cancérigènes, dont la teneur en soufre est largement supérieure à la moyenne autorisée en Europe. Ce sont les conclusions de trois années d'enquête menées, en Belgique, aux Pays-Bas et dans les pays de déchargement, par l'ONG Public Eye basée à Lausanne. Mais comment en est-on arrivé à cet esclandre continental ?

La honteuse « qualité africaine »

L'enquête de Public Eye indique que les négociants mis en cause ont profité des normes africaines peu strictes en matière de qualité du carburant « pour produire, livrer et vendre des carburants à haute teneur en soufre, interdits en Europe » à huit pays africains. Il s'agit de l'Angola, du Bénin, du Congo, de la Côte d'Ivoire, du Ghana, du Mali, du Sénégal et de la Zambie.

Depuis les terminaux des ports d'Amsterdam et Rotterdam (Pays-Bas) et Anvers (Belgique), ces traders helvétiques, peu scrupuleux, fabriquent de véritables mélanges d'orviétan. Leur procédé, le « blending », consiste à additionner plusieurs produits pétroliers semi-finis à d'autres substances pétrochimiques pour produire du carburant que le jargon de l'industrie pétrolière appelle honteusement, la « qualité africaine ».

Ce carburant frelaté est ensuite vendu à bas prix, livré et distribué via un réseau de stations-service que les mêmes négociants ont acquis au cours de ces dernières années. Ironie de l'histoire, la plupart des pays où est vendue cette essence de mauvaise qualité, exporte vers l'Europe, du pétrole brut d'excellente qualité.

Une législation peu regardante

Pour parvenir à ses conclusions, Public Eye a prélevé et fait analyser des échantillons d'essence à la pompe dans les pays concernés. Les résultats sont consternants de gravité. « Les carburants analysés présentent jusqu'à 378 fois plus de soufre que la teneur autorisée en Europe ». Le taux de soufre dans le carburant en Europe est fixé à 10 partie par million (ppm : unité de mesure de concentration correspondant à 1 mg/kg). Mais les deux-tiers des taux de souffre contenus dans les échantillons prélevés en Afrique dépassent les 1500 ppm, soit 150 fois la limite autorisée en Europe. Dans un échantillon prélevé au Mali, le taux de soufre contenait une teneur de 3780 ppm.

Il faut cependant signaler qu' « à l'échelle continentale, la limite moyenne s'élève à 2000 ppm, soit 200 fois le niveau autorisé en Europe. Certains pays comme le Mali ou le Congo-Brazzaville ont un seuil fixé à 10 000 ppm ! ».

On estime qu'en 2030, la pollution de l'air sera la cause de 30 000 décès prématurés en Afrique soit trois fois plus sur le continent qu'en Europe, aux Etats-Unis ou encore au Japon, selon des chiffres de l'International Council on Clean Transportation (ICCT).

Mise en danger organisée

L'ampleur du scandale s'est étendue vers ce qui s'apparente à une mise en danger organisée de la santé de millions d'Africains. Le carburant livré aux pays africains contenait « d'autres substances très nocives, comme du benzène et des aromatiques polycycliques, à des niveaux également interdits par les normes européennes ». Résultat, la fumée née de l'usage de ces carburants, pollue l'air des mégalopoles africaines. « Dakar et Lagos ont déjà une qualité de l'air plus mauvaise que Pékin ».

pollution

Une situation qui contribue à faire augmenter le risque de cancers, de maladies cardiaques et respiratoires pour le 1,2 milliard d'Africains qui devrait tripler d'ici 2050. On estime qu'en 2030, la pollution de l'air sera la cause de 30 000 décès prématurés en Afrique soit trois fois plus qu'en Europe, aux Etats-Unis ou encore au Japon, selon des chiffres de l'International Council on Clean Transportation (ICCT).

Même si la vente de carburants sales par ces négociants suisses n'est pas illégale car autorisée par la législation peu scrupuleuse de certains pays africains, elle n'en demeure pas moins illégitime. « Selon les principes directeurs de l'ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, les firmes doivent respecter les droits humains, dont fait partie le droit à la santé, au-delà du cadre légal en vigueur dans les pays où elles opèrent si celui-ci s'avère insuffisant pour protéger la population ».

La société civile de certains pays touchés est déjà à pied d'œuvre pour réclamer toute la lumière sur cette affaire à leur gouvernement. Au Sénégal par exemple, une association des consommateurs et la Ligue des droits de l'Homme se sont constituées parties civiles pour demander l'auto saisine du Procureur de la République. A un niveau plus international, la cour pénale internationale (CPI) envisage de se saisir de ce crime contre la santé et l'environnement.

Une évolution des choses qui devrait réconforter Public Eye qui voulait de par son enquête, inciter les Etats africains à durcir leur législation sur les produits dangereux contenus dans les carburants. L'ONG suisse espère que les négociants suisses fourniront désormais des carburants de meilleure qualité qui n'intoxiqueront plus les mégalopoles du continent.

Ibrahima Bayo Jr.

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