Infrastructures : face aux multinationales, l'Afrique en marge de son propre développement ?

Le grand boom qui se profile dans le secteur des infrastructures africaines risque de se faire au détriment des entreprises du continent. Leurs faibles capacités financières et techniques, conjuguées à la taille et à la complexité des projets, les disqualifient souvent au profit des multinationales déjà très présentes sur le continent. Ce qui engendre un énorme manque à gagner en termes de potentiel de croissance, mais aussi d'emplois pour les Africains.
Un ingénieur chinois de la construction travaille sur le chantier de construction d'une section du chemin de fer standard Mombasa-Nairobi à Emali au Kenya, le 10 octobre 2015.

La dynamique est certaine et les perspectives prometteuses. Le développement du secteur des infrastructures en Afrique a inauguré une nouvelle niche de croissance, non seulement pour les investisseurs, mais aussi et surtout pour les entreprises. Si la quête des financements constitue encore un terrain presque en friche au regard de l'ampleur des besoins -ce qui offre encore de la marge pour les investisseurs africains, la participation du secteur privé risque de se faire au détriment des entreprises locales. Il est vrai que dans de rares pays du continent, certaines entreprises championnes opérant dans le secteur des BTP arrivent à glaner quelques appels d'offres, généralement de taille modeste, avec des cas assez rares de celles qui vont au-delà du marché local. La plupart du temps, ce sont les multinationales qui accaparent le «gâteau africain». Le cas des entreprises chinoises est de ce fait le plus parlant, même si ces dernières ne sont pas les seules à tirer leur épingle du jeu sur le continent et s'appuient le plus souvent sur certains avantages comparatifs comme le package complet qu'elles offrent, en s'appuyant sur le soutien financier de leur pays.

En 2014 par exemple, sur 322 projets d'infrastructures de grande envergure lancés une année auparavant sur le continent, les statistiques du gouvernement chinois font ressortir que près de 12 % de ces derniers avaient été entrepris par des sociétés chinoises et 37 % par des entreprises européennes ou américaines. Si l'on ajoute les entreprises de certains pays émergents, comme les opérateurs turcs, russes ou indiens qui sont également très actifs sur le continent, il ressort clairement qu'il ne reste qu'une infime partie pour les majeures africaines, lesquelles se comptent d'ailleurs sur le bout des doigts. La situation est d'autant plus alarmante que ces dernières années, d'autres facteurs tendent à amplifier cet écart au détriment des entreprises africaines.

En plus de la taille de plus en plus importante des projets, l'expansion fulgurante des entreprises chinoises et l'arrivée de nouveaux prétendants dans le secteur, le moins que l'on puisse dire, c'est que les entreprises africaines sont encore une fois en train de se faire «larguer», alors que le potentiel de croissance n'est plus à démontrer. Surtout avec la vague des partenariats publics privés (PPP) sur laquelle surfe désormais le continent à travers les différents contrats signés ou en cours d'élaboration par plusieurs Etats avec des firmes internationales.

Manque à gagner

Le manque à gagner qu'engendre cette situation ne concerne pas que les entreprises africaines. La croissance africaine en pâtit également, puisque la réalisation de grands projets d'infrastructures constitue également un important vivier de création d'emplois directs et indirects. Or dans certains cas, particulièrement pour ce qui est des cadres, les entreprises étrangères font appel à des cadres étrangers rémunérés au «prix fort». Selon les estimations établies en 2015 par la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), l'Afrique dépense en moyenne 4 milliards de dollars par an pour employer plus de 100 000 experts non africains pour la réalisation de ses projets, alors qu'on compte plus de 300 000 Africains hautement qualifiés de la diaspora, dont 30 000 titulaires d'un diplôme de doctorat. C'est le cas de le dire : la fuite des cerveaux, une des plaies qui participent à maintenir l'Afrique dans le cercle vicieux du sous-développement, prend une tout autre dimension ici puisqu'elle s'accompagne, dans ce cas de figure et entre autres, de fuite de devises.

Fonds africains

Il y va donc de l'intérêt des gouvernants africains à réfléchir aux voies et moyens qui devront permettre une plus grande contribution des opérateurs locaux, même si leur marge de manœuvre constitue un sérieux obstacle. Non seulement les entreprises africaines ne disposent pas d'assez de fonds pour la réalisation de certains projets, mais dans la plupart des cas, c'est la complexité ou la taille de ces projets qui les disqualifient. Le seul lot de consolation qui se profile pour les pays africains, c'est peut-être l'arrivée annoncée des fonds mobilisables sur le continent et qui pourraient être orientés vers le financement des infrastructures.

Alors que les ressources budgétaires s'amenuisent de plus en plus, que les levées de fonds et autres emprunts deviennent assez coûteux, certains partenaires multilatéraux jettent leur dévolu sur d'autres sources plus consistantes et qui peuvent accompagner l'intégration des acteurs locaux ou panafricains. Selon la BAD, «les fonds qui sont disponibles sur les marchés des capitaux pour être affectés aux infrastructures dépassent largement ceux dont nous disposons». En Afrique, «nous allons tirer parti des fonds de retraite, des fonds souverains et des fonds de capital-investissement du continent, lesquels représentent un total que nous estimons à 520 milliards de dollars», affirme à ce sujet Akinwumi Adesina. Il reste alors à trouver la recette adaptée qui permettrait d'atteindre l'idéal selon lequel «l'avenir de l'Afrique réside en Afrique même», c'est-à-dire «faire appel à des ressources africaines et nous servir des marchés africains».

La mobilisation de ces fonds permettrait en tout cas au secteur privé africain de monter en puissance et jouer dans la cour des grands dans un marché déjà marqué par une rude concurrence. En disposant de plus de marge, les Etats africains pourront également contribuer à faire monter en gamme les entreprises privées africaines qui ne sauraient se passer de cette manne qui s'annonce, surtout que des investisseurs internationaux et des institutions financières internationales se postent en embuscade, à l'affût de la moindre opportunité.

Comme les Etats ont su trouver l'alternative des marchés financiers, le secteur privé africain pourrait aussi s'y greffer, surtout qu'il pourrait jouer sur davantage de crédibilité et de rentabilité auprès de ces partenaires très allergiques à certains risques, notamment politiques, moins pesants chez les entreprises. A la seule condition que les préalables soient posés, autrement dit que le climat des affaires soit plus propice.

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