Patrice Fonlladosa : « Nous concentrons notre développement auprès de la clientèle industrielle »

Avec 1,1 milliard d'euros de chiffre d'affaires en Afrique, le groupe Veolia se positionne comme un des leaders des services collectifs sur le continent. Aujourd'hui, après le décloisonnement des activités, Veolia Africa, filiale de la multinationale française, recentre ses objectifs et vise désormais la clientèle industrielle, alors que son portefeuille clients est traditionnellement orienté municipalités. Patrice Fonlladosa, président des activités Afrique Moyen-Orient de Veolia, revient pour «La Tribune Afrique» sur le repositionnement stratégique du groupe sur le continent, avec l'ambition de doubler son chiffre d'affaires africain dans les sept années à venir.
Patrice Fonlladosa, président des activités Afrique Moyen-Orient de Veolia

La Tribune AFRIQUE - Les observateurs ont noté une inflexion dans la stratégie de Veolia sur le continent. Après une période d'hésitation, le groupe semble montrer de nouvelles ambitions sur continent. Cette perception est-elle justifiée ?

Patrice Fonlladosa - Depuis sa création en 1853, le groupe Veolia a toujours su évoluer et son histoire récente le démontre encore. Il y a un avant et un après 2011. C'est une date pivot, car c'est l'année du lancement du plan de transformation, décidé par notre président Antoine Frérot. Le constat établi par celui-ci était clair : le Groupe avait besoin de retrouver de l'agilité et de la flexibilité pour retrouver le chemin de la croissance. Il a fallu s'attaquer d'abord au désendettement du Groupe, puis à son organisation, et enfin à sa stratégie commerciale pour lui redonner les moyens de son développement et recommencer à parler croissance mondiale. La question de l'Afrique s'est posée au départ. Devait-on conserver cette présence géographique, et si oui, dans tous les pays où nous étions présents ?

A cette époque, le chiffre d'affaires récurrent sur le continent africain était d'environ 800 millions d'euros. Des arbitrages ont donc été faits et ils nous ont menés à nous désengager d'un certain nombre d'activités dans des géographies plus traditionnelles, notamment au Maroc. Le choix s'est fait en fonction de plusieurs critères : marchés porteurs, géographies dynamiques et problématiques environnementales d'ampleur. Il était capital d'avoir le courage de passer par cette phase pour se relancer sur des bases saines.

Comment cette stratégie s'est-elle concrétisée en Afrique ?

Le plan de transformation du groupe était notamment basé sur le recentrage de nos activités et la construction d'un «Veolia unique» avec le regroupement de nos activités eau, déchets, énergie par régions, et non plus par métiers, pour raisonner géographie et multi-métiers. C'est un fait majeur pour le groupe qui a complètement décloisonné notre organisation.

En Afrique, cela s'est donc aussi traduit par le décloisonnement des activités. Ce qui nous a permis de remettre à niveau les contrats qui nécessitaient un rééquilibrage économique, et de penser de manière plus globale nos métiers. Nous étions à l'époque actionnaires à hauteur de 80% sur l'ensemble de nos filiales, les 20% restants étaient détenus par les bailleurs de fonds IFC (Société financière internationale, ndlr) et Proparco, filiales respectivement de la Banque mondiale et de l'Agence française de développement. Nous avons depuis rassemblé l'ensemble de nos activités sous une seule entité qui s'appelle Veolia Africa. Aujourd'hui, nous sommes présents dans de nombreux pays en Afrique, dont les principaux sont le Maroc bien sûr, mais aussi le Niger, la Guinée Conakry, la Namibie, le Nigéria, le Mozambique, un peu en Afrique du Sud.

Nos métiers en Afrique ont d'abord trait à la gestion d'énergie, avant la gestion de l'eau et de l'assainissement et de manière plus marginale pour l'instant aux métiers liés aux déchets. Nous sommes maintenant de nouveau dans une optique de construction et de croissance raisonnée et rentable. Avec tout de même un axe de développement différent : nous avons décidé d'accentuer notre développement auprès de la clientèle industrielle. Pour la partie municipale, nous sommes plus dans une logique de développement ciblé, au cas par cas, en fonction des projets.

Justement, en ce qui concerne la ventilation de votre activité entre secteurs public et industriel, les conflits que vous avez connus avec les municipalités, notamment en Egypte et au Maroc, vous ont-ils poussé à privilégier le secteur industriel ? Ou bien cela relève-t-il d'une vision globale ?

Au niveau mondial, notre portefeuille clients était très majoritairement municipal, c'est-à-dire que nous avions les municipalités comme clients quasi exclusifs et nous ne travaillions avec les industriels qu'au gré des opportunités. Dans le cadre de sa transformation, Veolia a également cherché à équilibrer son portefeuille clients, de façon à équilibrer les opportunités et les savoir-faire du Groupe vers des marchés en croissance. Cela permet de bien gérer la pérennité. Les contrats industriels sont des contrats plus courts, mais rémunérateurs. Avec un industriel, nous sommes face à des problématiques industrielles très exigeantes. Il n'y a donc pas de désaffection par rapport au municipal, mais bien une recherche d'équilibre.

Vous opérez dans un secteur qui privilégie le temps long. Par quelle approche arrivez-vous à sensibiliser les décideurs politiques et les industriels aux problématiques que vous adressez à travers vos différents métiers ?

Vous touchez un point important : nos métiers sont des métiers de temps long qui visent à préserver l'avenir et les ressources. Notre Groupe n'a peut-être pas toujours su faire prendre conscience de ces enjeux fondamentaux. Désormais, nous savons qu'en parler et l'expliquer est indispensable, auprès de nos employés, mais aussi de nos clients. C'est indispensable pour faire comprendre la portée de nos activités et notre façon d'opérer sur le long terme. Il y a pour nous plusieurs facettes à cette pédagogie : du consommateur sur le terrain jusqu'aux élus, en passant par toutes nos parties prenantes, c'est-à-dire les ONG, les représentants des autorités publiques et les représentants des populations, ou encore les fournisseurs. Les évènements internationaux d'ampleur, comme les COP 21 et 22, sont aussi de puissants leviers qui permettent d'accroître davantage la prise de conscience et l'engagement des uns et des autres en faveur de la protection de l'environnement.

En ligne avec votre stratégie de conquête, vous ouvrez votre scope vers de nouveaux projets dans les pays africains. Vous avez notamment soumissionné pour la mise en concession de la distribution d'électricité au Ghana. Quels sont les pays et les projets que vous ciblez en priorité ?

Le Ghana a en effet récemment lancé l'un des plus grands appels d'offres sur le continent africain et il entre dans le cadre du programme de la SFI. Il est à échelle nationale et correspond très exactement à ce que nous savons faire. Nous l'avons montré au Maroc, au Gabon et encore récemment en Guinée Conakry, où nous avons fait valoir notre savoir-faire en matière de distribution d'électricité à l'échelle d'un pays. C'est donc un axe et un projet prioritaires pour nous.

On parle de dissensions au sein du gouvernement ghanéen à ce sujet ?

Les réformes prennent du temps et ne peuvent se faire qu'à la demande des Etats, et à partir du moment où elles sont acceptées socialement. Donc, c'est un sujet qui demande du temps pour son traitement.

Qu'en est-il des autres projets dans le pipe sur le continent ?

Ce projet est un exemple, mais il y en a beaucoup d'autres. Il y a de nombreux appels d'offres qui sortiront prochainement, car les contrats arrivent à échéance, notamment au Sénégal et au Cameroun. Il y a ensuite des projets plus industriels. C'est le cas encore une fois au Ghana avec la duplication de ce que nous avons développé avec AngloGold Ashanti, où nous gérons le traitement des eaux de process de sa mine d'Iduapriem. Après le succès de cette gestion depuis deux ans, le contrat a d'ailleurs été renouvelé. Nous espérons donc dupliquer ce savoir-faire à l'ensemble de l'industrie minière au Ghana. Il y a ensuite un grand nombre d'opportunités dans certains pays d'Afrique de l'Est où des opportunités auprès des industriels pour le Groupe existent, dans le secteur minier là encore, mais aussi dans le secteur pétrolier et gazier. Pour ce dernier notamment, beaucoup de pays ont demandé à leur industrie pétrolière de gérer leurs effluents d'une manière plus rigoureuse et plus respectueuse de l'environnement. Veolia dispose de toute l'expertise nécessaire et nous avons donc toute notre place pour les accompagner.

Votre présence géographique touche désormais les différentes sous-régions du continent. Est-ce qu'il y a une manière différente de faire du business dans l'Afrique anglophone par rapport à l'Afrique francophone ?

La différence est principalement culturelle. De manière générale, lorsque l'on travaille à l'étranger, c'est à nous de nous adapter à la culture locale. La France a créé de très grandes amitiés et elle a  une histoire commune avec les pays francophones d'Afrique. C'est moins le cas avec l'Afrique anglophone. Donc la relation est différente, plus neutre. La compétition aussi y est de nature tout à fait différente. Il y a selon moi deux pôles, l'un organisé autour du droit anglo-saxon dans le mode de passation des marchés et d'imagination des services à l'anglo-saxonne, et l'autre, qui nous est plus familier, est plus proche de nos habitudes, dans la sphère francophone. Mais, nous sommes autant à l'aise dans l'un ou dans l'autre de ces deux univers. Notre groupe est international et la capacité de nos équipes à s'adapter est éprouvée à l'échelle mondiale.

Pour l'appel d'offres relatif à la distribution d'électricité au Ghana, vous y êtes allés à travers un partenariat avec EDF. Peut-on imaginer d'autres partenariats ponctuels, notamment locaux, pour d'autres projets ?

Absolument ! Nous n'avons pas d'alliance exclusive et il est important d'associer autant que possible des parties prenantes locales. Au Ghana par exemple, nous sommes en joint-venture avec EDF, mais nous avons aussi des partenaires ghanéens sur ce projet. Il était pour nous inenvisageable de ne pas travailler avec des partenaires locaux, capables de nous aider à mieux répondre au besoin, à comprendre le tissu local. Et c'est le cas quasiment partout où nous sommes présents. Au Gabon, l'Etat est actionnaire à hauteur de 49 % dans la SEEG. Au Niger, 49 % sont portés par des actionnaires locaux. En Namibie, nous sommes également en partenariat.

Pouvez-vous nous donner un objectif de pourcentage à terme du chiffre d'affaires en Afrique par rapport au groupe ?

Nous réalisons aujourd'hui un peu plus de 1,1 milliard d'euros de chiffre d'affaires en Afrique. A l'aune du potentiel et du pipe de projets que nous avons identifiés sur le continent, nous ambitionnons de pouvoir doubler ce chiffre dans les sept ans qui viennent. C'est un pari extrêmement ambitieux pour les équipes Afrique de Veolia, mais très mobilisateur !

Propos recueillis par Aziz Saidi

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