Africains de Chine, entre ambitions et désillusion

Les relations Chine-Afrique, ce n'est pas seulement la Chine en Afrique, mais aussi l'Afrique en Chine. Bien que sa présence dans l'empire du milieu soit encore de loin incomparable à celle des Chinois sur le continent noir, la diaspora africaine tente tant bien que mal d'émerger pour se faire une place dans le marché local. Immersion au cœur de la «Little Africa» chinoise.

«Les hommes d'affaires africains en Chine actuellement, on n'en voit pas beaucoup, parce que ce n'est pas donné de faire des affaires importantes en Chine», déclare à La Tribune Afrique un businessman africain, requérant l'anonymat, qui a déjà investi dans plusieurs projets dans ce pays qu'il qualifie d'adoptif. Pourtant qu'ils soient Nigérians, Sud-Africains, Ivoiriens, Congolais, Camerounais ou même Marocains, les Africains de Chine tentent de se faire une place dans cet immense marché, en témoigne les différents reportages diffusés ces dernières années sur la diaspora africaine de Chine. Arrivés au pays de Mao Tsé-Tung pour les études, pour le football, pour des raisons familiales ou tout simplement pour démarrer une nouvelle vie, de nombreux Africains se sont convertis au business.

Pour en savoir plus, il faut aller à Guangzhou, au sud-est de la République populaire. Baptisée «Chocolate City» ou «Little Africa» pour sa forte concentration en ressortissants africains, cette ville est la principale plaque tournante des produits manufacturés du delta de la Rivière des Perles, où est située l'une des principales zones industrielles du pays. «C'est la capitale de l'Afrique en Chine !», glisse notre interlocuteur businessman qui requiert l'anonymat.

L'intermédiation d'abord...

Très souvent, les Africains de Chine deviennent un repère pour les commerçants du continent qui s'approvisionnent sur le marché chinois. «Une bonne partie des ressortissants africains installés en Chine fait dans l'intermédiation commerciale. Ils accompagnent les entreprises africaines pour s'approvisionner en marchandises ou en matières premières (tissus, ...)», explique dans un entretien avec La Tribune Afrique Kamal Mediouni, un Marocain résidant à Shenzhen depuis près de 10 ans et très actif dans le milieu des affaires en Chine. D'ailleurs lui aussi s'est mis à l'intermédiation commerciale après y avoir «décelé des opportunités» face à un projet personnel d'entreprise qui a eu peu de succès.

En effet, monter et faire vivre une entreprise en Chine n'est pas une chose aisée. En cause : Outre les procédures qui peuvent être longues et contraignantes, il y a la question du loyer. Selon notre source, un espace de 100m2 loué il y a quatre ans à 5 000 yuans (728 dollars), coûterait aujourd'hui, 10 000 à 15 000 yuans par mois (1456 à 2184 dollars). Une assistante est payée au minimum à 1000 dollars cette année, contre 800 dollars l'année dernière, idem pour un standardiste. «Le minimum c'est 800 dollars [soit un peu plus de 5 000 yuans, ndlr]», glisse notre interlocuteur. L'équation devient donc difficile quand il faut embaucher plusieurs personnes. «J'ai deux amis qui ont monté une usine il y a trois ans. Mais ils ont rencontré beaucoup de difficultés parce qu'ils n'arrivaient pas à payer les employés. Actuellement ici, le coût de la main d'œuvre a horriblement augmenté», confie-t-il. Cependant, même si de manière générale entreprendre relève encore du parcours du combattant pour un Africain en Chine, certains, au sein de la diaspora sortent du lot.

Martha Makuena et sa chaine de salons de coiffure

C'est le cas notamment de Martha Makuena. Cette congolaise de RDC établie en République populaire depuis 1999 a lancé en 2012 une chaine de salons de coiffure africains : Paulma Afro Hair Care Co. Ldt. Chez Martha, hommes et femmes trouvent des professionnels pour les rendre beaux et belles et pas seulement les Africains. Les Chinois aussi y vont se faire des coupes branchées comme le font les jeunes sportifs africains, tandis que les Chinoises, tout particulièrement, tentent les tresses africaines.

L'idée de Martha, qui a suscité beaucoup d'admiration de la part de la presse internationale en 2013 et 2014, a propulsé cette native de Kinshasa au-devant de la scène de la diaspora africaine de Chine. A ce jour, elle dispose que deux boutiques. La première dans la capitale Beijing et la deuxième à Shanghai. Nous avons tenté de la joindre pour en savoir plus. «Malheureusement, Martha est actuellement en séjour à l'étranger. Je ne suis pas habilitée à parler à la presse», confie à La Tribune Afrique la responsable du salon de Beijing.

Simon El Alaoui et ses multiples business

2163,8 km plus au sud, à Shenzhen, on retrouve Simon El Alaoui Zidani. Ce Marocain d'origine vit en Chine depuis 24 ans. Arrivé pour soutenir le business familial lancé par son grand-père dans les années 60, il décide de développer ses propres affaires vers la fin des années 90. Il commence avec une usine de fabrication de fauteuils de bureau et de tableaux notamment. Puis, en 2000, il se lance dans la fabrication de lampes économiques innovantes. Avec ce projet, le succès sera tel que quelques années plus tard, il exporte en Malaisie et dans certains pays d'Europe.

L'homme d'affaires multiplie encore les flèches de son carquois en découvrant, suite à un voyage avec des amis chinois dans son Maroc natal en 2012, une population chinoise friande d'huile d'argan. Il crée alors sa marque : Meclon, qui deviendra par la suite la société qui regroupe ses différentes activités. A cela, il a rajouté le sport-business, en créant, il y a deux ans, une société qui organise, sponsorise les courses de Drift (un sport très prisé en Chine) et commercialise les voitures de Drift. «Avant, je pratiquais le Drift exclusivement par plaisir. A présent, nous en avons fait une entreprise, avec garage, etc..., car nous y avons vu une opportunité», explique-t-il, soulignant que ce projet est plus rentable que toutes les affaires dans lesquelles il a investi. «Une voiture montée par des étrangers est vendue deux fois plus cher que celle montée par des Chinois. Et les gens ici aiment bien cela, du coup il y a de l'argent à se faire», ajoute l'homme d'affaires.

« Le secret : ADRESSER le marché local »

Mais si Simon arrive encore à maintenir le cap de ses affaires, c'est parce qu'il a pu les diversifier et investir sur des marchés porteurs. Parce que l'explosion des charges entrepreneuriales, il en a, lui aussi, subi l'effet. «Je crois que les salaires en Chine sont devenus plus élevés que dans certains endroits en France», lâche cet homme qui connait bien l'hexagone. «Moi par exemple, j'avais deux usines, j'en ai vendu une. J'avais 190 employés, j'ai dû n'en garder que 139», précise-t-il. Mais pour lui, hors de question de parler de crise. En revanche, il concède à une flambée du coût de la vie. «On fait juste des réajustements, parce que le coût de vie est devenu énorme en Chine. Pour que ça marche, l'entrepreneur doit revoir sa stratégie régulièrement», argue-t-il.

Mais, selon nos différents interlocuteurs, ce qui fait défaut aux entrepreneurs africains en Chine, c'est leur orientation vers l'export. «Ces dernières années, il est devenu de plus en plus compliqué de faire du business en Chine, surtout en direction de l'Afrique. Les opportunités sont devenues rares, depuis que la Chine s'est réveillée», explique Kamal Mediouni, faisant allusion à l'offensive chinoise sur le continent. «Rares sont les ressortissants africains qui font du business en adressant le marché local, et quand ils le font, il s'agit généralement d'importer des ressources naturelles, comme l'or ou le diamant ou encore des huiles naturelles», ajoute-t-il. Or, sur le terrain de l'importation, les Africains de Chine ne peuvent que très difficilement faire le poids avec toutes les grosses firmes publiques et privées en partenariat avec les gouvernements africains.

«Si l'entrepreneur cible le marché local et développe un projet à destination des Chinois, cela marche à tous les coups !», assure Simon El Alaoui. «Les Chinois sont nombreux et deviennent de plus en plus une société de consommation. Il faut juste trouver la bonne affaire, le bon produit, le truc qui les intéresse», insiste-t-il. Mais encore faut-il maitriser la langue locale. Selon Kamal Mediouni, l'anglais permet généralement de s'en sortir. «Mais il n'empêche que le Mandarin permet une meilleure intégration et donc une meilleure capacité de négociation avec les hommes d'affaires chinois. C'est pour cela que la communauté d'hommes d'affaires africains ou étrangers en général s'inscrivent aux cours de mandarins donnés dans presque toutes les universités du pays», argue-t-il. A ce propos, Martha Makuena déclarait à la BBC en février 2013 : «pour construire une affaire solide en Chine, le plus important c'est la langue. Quand vous maitrisez une langue, vous pouvez comprendre les gens du pays, leur situation, leur besoin».

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