Les opérateurs africains partagés sur le modèle de développement à adopter

Réunis en conclave à Marrakech par la fondation Mo Ibrahim, les économistes, grands patrons et financiers africains ont débattu le temps d’un weekend (8 et 9 avril) sur les questions de gouvernance et d’inclusion financières, l’occasion pour La Tribune Afrique de tâter le pouls des plus importants dirigeants continentaux sur la question qui se partagent entre afro-sceptiques et afro-enthousiastes.
Amine Ater

L'escale marocaine de la fondation Mo Ibrahim qui a choisi Marrakech pour fêter son dixième anniversaire touche à sa fin. Fidèle à son orientation, le forum de la fondation Mo Ibrahim, a donné la part belle au thématiques de gouvernance, d'inclusion financière, de leadership ou encore d'intégration régionale.

Manque de cohérence des gouvernements et d'intégration régionale

Des sujets qui représentent les perpétuels chantiers du continent. Une stagnation qui s'explique par « une inconsistance des politiques publiques, caractérisée par l'absence de continuité de ces programmes économiques d'une administration à l'autre », précise Aliko Dangote, PDG de Dangote Group. Une situation aggravée par une intégration régionale au ralenti, qui se traduit par des barrières à la « fluidification de l'accès mutuel au pays africains », pour l'homme d'affaires nigérian.

Pour ce dernier, le maintien des visas entre pays africains, représente un des freins à la synergie entre les groupes panafricains. « Une lourdeur administrative » qui offre un avantage concurrentiel aux investisseurs étrangers qui, grâce à l'absence de visas peuvent étendre considérablement leur champs d'action en Afrique. A ce frein procédurier, s'ajoute le poids de l'importation dans les marchés africains.

« Nous importons presque tous ce que nous consommons. Le Nigeria importe 85% de sa consommation de lait et 80% de sa consommation de sucre », alerte Dangote.

Accro à l'import et sans électricité

« Nous devons réapprendre à consommer d'une manière basique, en fonction des productions respectives de chaque pays, de manière à permettre aux TPE et PME locales de survivre face à la pression étrangère. Après une période de survie, ces dernières passeront par une période d'adaptation, puis de croissance », nuance Ngozi Okonjo-Iweala, ex-ministre des Finances du Nigeria.

Pour cette ex-directrice générale de la Banque mondiale, un réel décollage économique reste tributaire d'une simplification des mécanismes de création d'entreprises, notamment de petite ou moyenne taille. Okonjo-Iweala a également insisté sur le fait que les gouvernements se doivent également de clarifier leurs orientations économiques de manière à permettre aux opérateurs d'identifier les relais de croissance et d'y investir.

Pour, Akinwumi Adesina, président de la BAD, l'agriculture bien que mal desservie en termes d'investissements, reste le plus important des relais de croissance du continent.

« Notre continent est fort d'un potentiel agricole qui nécessite un changement d'approche, pour lui permettre de dépasser la barre de 10 milliards de dollars de gain par an », soutient le président de la BAD. Ce dernier est catégorique : « les futurs milliardaires africains viendront de l'agriculture, tant que les gouvernements comprennent qu'il faut aborder le secteur, comme un marché à part entière où il faut investir massivement et non comme une activité primaire de survie ! ».

Une ambition agricole tempérée par Aliko Dangote, qui lie tout démarrage industriel à une stabilisation de la production et de la distribution en énergie, notamment en électricité.

« Les opérateurs économiques et notamment industriels pâtissent de l'instabilité de la distribution électrique. Ces derniers sont même obligés de générer leur propre énergie, qu'ils ne peuvent même pas revendre vu qu'elle est entièrement consommée en propre. Le manque chronique d'électricité reste un frein majeur au développement du continent », martèle Dangote.

Services, mais sans industrie

Pour ces dirigeants, l'inclusion financière massive des africains reste tributaire d'une réelle diversification économique et d'une amélioration de l'efficience des politiques publiques en la matière. Un postulat qui reste loin de se traduire en projets concrets sur le terrain.

« Le secteur des services a réussi à prendre pied en Afrique, contrairement à l'agriculture et l'industrie qui ont stagné sans gagner en valeur ajouté », constate Donald Kaberuka, ex-patron de la BAD.

Pour ce dernier, cette situation est à contre-courant des modèles économiques traditionnels où les services émergent après que les secteurs agricoles et industriels aient atteint une certaine maturité, obligeant l'économie à se diriger vers les services en quête de nouveaux relais de croissance.

Un constat alarmant, mais qui n'entame pas l'optimisme de Kaberuka quant aux opportunités de croissance du continent. « L'Afrique n'est plus un continent hostile aux capitaux, mais il reste beaucoup à faire, notamment en termes de gestion des commodities », nuance l'ex-patron de la BAD.

Du côté de la Société financière internationale (SFI), une réelle croissance africaine dont les effets se traduisent sur le terrain restent hors de portée pour le moment. Un certain « réalisme » justifié par l'absence de diversification économique, particulièrement en ce qui concerne l'exploitation et la transformation des ressources naturelles.

Une croissance qui ne profite pas aux plus pauvres

« Le Nigeria croît mais sans efficience et trop lentement. Un rythme qui s'explique par le manque d'innovation et par ricochet de valeur ajoutée. Abuja rappelons-le, se borne à exporter du brut. Les indicateurs restent loin de d'être réellement palpables par les africains lambda dans leur quotidien, notamment le fameux taux de croissance », soutient Vera Songwe, directrice régionale de l'Afrique de l'Ouest et du Centre pour la SFI.

Pour cette dernière, les dirigeants africains gagneraient à « dépasser la course à la croissance ». Un indicateur qui sans développement local peut s'avérer intenable politiquement et source d'instabilité.

« Quels ont été les changements tangibles sur la vie de la masse africaine, impulsés par la croissance engrangée lors de ces 10 dernières années par les économies continentales ? », s'interroge la directrice régionale de la SFI. Un manque de confiance qui s'explique également par la fragilité des monnaies africaines face aux cours du pétrole et des minerais. Le quasi-monopole africain sur le cacao en est un bon exemple. En effet, bien que le continent soit le plus grand exportateur de cacao, cette matière ne passe par aucune transformation dans les pays producteurs.

Une croissance qui n'apparaît pas illusoire du côté des opérateurs télécoms. En effet, ce secteur reste parmi les plus performants en Afrique depuis le début des années 2000.

« L'effet leapfrog commence à régler certains problèmes d'inclusion financière, notamment en termes d'accès à l'épargne, à l'assurance, aux médecins et aux médicaments. Les opérateurs télécoms se substituent petit à petit aux acteurs traditionnels », souligne Bob Collymore, PDG du géant kényan Safaricom.

Pour ce dernier, au lieu de se focaliser sur l'Afrique du Sud et le Nigeria, les investisseurs devraient s'intéresser aux marchés kenyan, burkinabé, sénégalais ou encore ivoiriens. « L'on ne peut pas juger l'attractivité d'un continent par deux gros pays qui connaissent un ralentissement temporaire de leur croissance », s'insurge Collymore

Amine Ater

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