Chine / Matières premières : indispensable Afrique ?

Alors en plein essor économique au début des années 2000, la Chine, en quête de matières premières pour soutenir sa dynamique, se tourne vers l'Afrique. C'est ainsi le début d'une « épopée » dans laquelle les pays africains producteurs de ces ressources connaitront des heures de gloire inédites, mais aussi, depuis peu, une descente aux enfers contre laquelle les deux parties entendent travailler de concert pour faire émerger une vraie coopération gagnant-gagnant.
Ristel Tchounand

« Vue de Pékin, la coopération sino-africaine répond à un triple objectif de la Chine : assurer un accès aux matières premières pour son industrie lourde, offrir des perspectives de développement aux entreprises chinoises, asseoir son influence et gagner de nouveaux alliés», déclarait Jean-François Di Meglio, président d'Asia Centre, interrogé par Le Monde en marge du Forum sur la coopération sino-africaine qui se tenait du 3 au 5 décembre 2015 à Johannesburg (Afrique du Sud). Un événement organisé tous les trois ans depuis 2000 où les deux parties discutent des possibilités de renforcement de leur coopération.

D'ailleurs durant cette édition où de grandes décisions ont été prises pour la période 2016-2018, le Premier ministre chinois, Li Kegiang, a annoncé un objectif de 400 milliards de dollars d'échanges commerciaux d'ici 2020. En première ligne entre autres, l'importation par la Chine des matières premières d'Afrique.

Malgré la crise, la Chine importe... parfois plus !

Une annonce qui intervient alors dans un contexte pourtant peu confortable pour l'empire du Milieu dont l'économie nationale connait un certain ralentissement. Les motifs ? Le krash boursier avec le recul de plus de 30% en un mois des indices Shanghai composites (les indices de référence du marché boursier chinois, SSE 50 et SSE 180, qui regroupent respectivement les 50 et 180 plus grandes entreprises du pays), mais aussi la dévaluation subite du yuan, ainsi que la chute des exportations et le ralentissement de la demande intérieure. En 2015 en effet, la situation est telle que la Chine enregistre sa plus faible croissance économique depuis 25 ans. Une réalité qui va impacter son appétit en termes de matières premières, principales composantes des importations chinoises en provenance de l'Afrique, soit 80%. Celles-ci connaitront une chute de près de 40%, selon les données de l'Administration générale des douanes de Chine.

Mais si sur ce tableau global, les achats chinois en Afrique des matières telles que le charbon reculent effectivement d'une manière considérable en 2015, de l'ordre de 30%, d'autres matières en revanche, en dépit de la conjoncture, sont achetées en plus grande quantité. C'est le cas notamment du pétrole, dont les importations chinoises ont grimpé de 9%, tandis qu'elles étaient en hausse de 14% pour le soja et de 2% pour le minerai de fer.

Au lendemain du Forum de Johannesburg, la Chine a poursuivi la même tendance. En 2016, «le volume des importations des principaux produits en vrac tels que le minerai de fer, le pétrole brut et le cuivre a maintenu sa croissance», indique l'Administration chinoise des douanes dans son examen annuel du commerce extérieur en 2016 publié le 13 janvier dernier. Dans le détail, les achats à l'étranger de minerai de fer ont atteint les 1 024 millions de tonnes (soit une hausse de 7,5%), elles étaient de 381 millions de tonnes pour le pétrole brut (+13,6%), 256 millions de tonnes pour le charbon (+25,2), 13,21 millions de tonnes pour l'acier (+3,4%) et 4,95 millions de tonnes pour le cuivre (+2,9%). La Douane chinoise ne précise pas la provenance de ces matières premières, mais comme le précise le chercheur spécialiste de la Chine-Afrique, Jean Raphael Chaponnière dans «L'empreinte chinoise en Afrique» publié en 2014 dans la Revue économique et financière, «le pétrole africain assure un tiers de l'approvisionnement [de la Chine, ndlr] et l'Afrique est le principal fournisseur de plusieurs minerais métalliques». Et Adama Gaye, journaliste et spécialiste des relations Chine-Afrique, de rappeler dans un entretien avec La Tribune Afrique : «la Chine pour des raisons objectives est devenue une grande ''acheteuse'' des matières premières en particulier énergétiques et minéralières du continent africain. On peut même dire que les matières premières occupent l'essentiel des relations bilatérales, portant le commerce entre la Chine et l'Afrique à près de 300 milliards de dollars d'échanges alors qu'en 2000, ils ne dépassaient pas 10 milliards de dollars».

L'afrique, incontournable ?

Pour cet expert, la Chine ne peut se passer de ses importations de matières premières africaines en raison de ses «énormes besoins» au niveau national dus non seulement au déséquilibre entre sa forte population (1,3 milliard d'habitants, soit 21% de la population mondial) et sa faible capacité agricole (7% des terres arables mondiales), ainsi que la machine de la modernisation économique qui, depuis sa lancée, a littéralement transformé le pays de Mao Tsé Tung, le faisant passer d'économie en développement à la deuxième plus grande puissance économique mondiale après les Etats-Unis en termes de parité de pouvoir d'achat. «L'Afrique est donc incontournable parce que c'est l'un des principaux continents, sinon le continent qui recèle le plus de matières premières. Donc lorsqu'on veut faire de la transformation de matières premières, produire un certain nombre de choses à base de matières premières, on est bien obligé de se référer aux pays africains», appuie l'économiste Mays Mouissi, interrogé par la Tribune Afrique.

Historiquement, quatre pays représentent les principaux «puits» de la Chine en termes de matières premières. Il s'agit de l'Angola (qui expédie annuellement 40% de son pétrole vers la République populaire), le Soudan, le Nigéria et l'Afrique du Sud. Leur dénominateur commun : le pétrole avec un accent sur les mines pour le pays de Nelson Mandela. A eux seuls, ces quatre nations cumuleraient jusqu'à 80% des exportations africaines vers la Chine, selon plusieurs sources concordantes. Et pour cause, le pétrole et les mines constituent les premiers intérêts chinois en Afrique en termes de matières premières.

Au cours de cette dernière décennie cependant, plusieurs autres pays sont devenus source d'un plus grand intérêt pour la Chine toujours en raison de leurs ressources. C'est le cas notamment de la Zambie qui dispose d'importants gisements de fer, de cobalt, de zinc, d'étain, d'émeraude ou de cuivre, pour ne citer que ceux-là. Et pour cette dernière ressource dont ce pays d'Afrique australe est le deuxième producteur africain après la RDC et le huitième mondial (selon les statistiques de 2014), c'est au total 80% de la production zambienne de cuivre qui prend chaque année la route de la Chine, selon les données du cabinet international Deloitte.

La loi des cours, le revers de la médaille

Mais alors que la demande chinoise, explosant les prix des matières premières, a fortement boosté la croissance de ces pays fournisseurs pendant plus d'une décennie, ces derniers ont connu le pire avec la dégringolade des cours. Le Nigéria, à titre d'exemple, qui tire 70% de ses revenus de sa production pétrolière, a été ébranlé par la chute des cours du brut. Résultat : explosion de l'inflation (plus de 18% actuellement, soit le plus haut depuis une dizaine d'année), une chute libre de la croissance à -1,7% en 2016 selon la Banque mondiale, contre 7,8% en 2010, sans parler des multiples problèmes sociaux et d'insécurité. Le Nigéria qui était encore la première économie d'Afrique sous peu est désormais en récession, une première depuis 25 ans. Une situation que le président Muhammadu Buhari n'a pas pu s'empêcher de souligner lors d'une conférence à laquelle participaient des représentants des Nations unies à Abuja en août 2016 : «le Nigeria est soudainement devenu un pays pauvre. Avant que je ne prenne mes fonctions, le pétrole se vendait à quelque 100 dollars le baril. Ensuite, il s'est effondré à 37 dollars, pour osciller maintenant entre 40 et 45 dollars le baril». Et le constat est similaire pour presque toutes les matières premières.

En 2016, le cours de la tonne de cuivre avait dégringolé autour de 4 365 dollars, alors qu'il franchissait la barre des 10 000 dollars en 2011. Idem pour la tonne de maïs passée 164 dollars, contre 370 dollars en 2012. Du coup, les quantités exportées par les pays africains sont restées importantes -voire de plus en plus importantes- pour ces matières premières, mais leurs rendements financiers n'ont pas suivi. Une réalité qui s'est directement répercutée sur la croissance économique de ces pays. L'Afrique du Sud a dégringolé autour de 0,1% en 2016, contre 3,1% en 2011, tandis que la Guinée équatoriale qui s'est enfoncée à -9,9%, contre 5% en 2011. Le Gabon qui n'avait rien à envier à ses pairs avec une croissance de 7,1% en 2011 est aujourd'hui à 2%. «Comme on pourrait dire, quand la Chine éternue, les pays africains producteurs de matières premières s'enrhument !», lance Adama Gaye. «Il y a, poursuit ce spécialiste des relations Chine-Afrique, un effet de causalité direct dans la relation entre la Chine et ces pays. C'est quand la Chine est devenu grande importatrice des matières premières au début des années 2000, que les cours ont connu des tendances haussières. A partir du moment où la Chine, confrontée à un taux de croissance en baisse ainsi qu'au changement de son modèle économique longtemps basé sur les exportations de produits manufacturiers, a compris qu'il fallait miser sur un développement intérieur et promouvoir les services pour ne pas trop dépendre de ses importations, cela a effectivement entrainé un affaissement des cours des matières premières de ces pays et cela les a profondément touchés, menant même à des changements de régime comme au Nigéria, ... des conséquences insoutenables pour des pays comme le Congo Brazzaville, le Gabon et même aujourd'hui l'Angola».

Transformation économique et meilleure négoce, les urgences

Malgré ce contexte, les experts restent convaincus d'une chose : la Chine continuera d'importer des matières premières pour assurer ses stocks stratégiques et poursuivre son ambition de déclasser les Etats-Unis et devenir la première économie du monde. « De ce point de vue, l'Afrique aura toujours un rôle important pour la Chine », déclare Mays Mouissi. En témoigne la récente acquisition par China Molybdenum du complexe de cuivre et de cobalt de Tenke Fungurume en RDC, ainsi que la hausse de 28% des exportations de pétrole d'Afrique de l'Ouest vers la Chine en février 2017, atteignant 1,36 million de barils par jour.

Quel est alors l'enjeu pour les pays africains exportateurs de matières premières ?  Dans une analyse publiée en fin 2015, le cabinet international Deloitte préconise «la transformation» de ces économies. «Le modèle de croissance africain actuel doit être repensé. Ce modèle basé sur l'exportation de ressources n'est plus viable et doit faire place à une économie de substitution à même d'amoindrir la dépendance de l'Afrique au marché des matières premières», estiment les auteurs. D'après l'étude, le continent a tout à gagner en capitalisant sur son marché intérieur à fort potentiel avec 1 milliard de personnes actuellement, sachant que ce chiffre pourrait doubler d'ici 2060. «La nouvelle équation africaine réside donc dans le développement d'une industrie à valeur ajoutée, qui soutiendrait la demande intérieure et la création d'emplois sous-jacente», estime les auteurs. En d'autres termes, ils lancent un appel à la diversification économique, comme le font actuellement des pays comme l'Ethiopie ou le Kenya. «C'est tout l'enjeu désormais !», relève Mays Mouissi. «L'Afrique doit continuer de vendre ses matières premières et essayer de transformer au maximum et conserver une partie de la valeur ajoutée sur le continent, et puis in fine, changer de modèle pour être moins dépendante des crises extérieures», explique l'économiste.

Lors du dernier Forum sur la coopération sino-africaine à Johannesburg, les deux parties ont arrêté un plan d'action sur la période 2016-2018 publié sur le site web du ministère Chinois des Affaires étrangères. Dans ce document, il est plusieurs fois questions de «transferts de technologies», de renforcement de la coopération pour la «transformation agricole» et agro-alimentaire et même de «transformation poussée des produits énergétiques et de ressources naturelles, en vue de l'accroissement de l'emploi local et de la valeur ajoutée des produits primaires». En pratique, la Chine fait tout pour démontrer sa volonté de mettre cela en œuvre, en témoigne ses différents partenariats et descentes sur le terrain, notamment en Côte d'Ivoire où l'empire du milieu accompagne le programme de transformation de la filière cacao. De l'avis d'Adama Gaye, les pays africains exportateurs de matières premières devraient «former un cartel pour mieux négocier ces accords commerciaux avec la Chine de sorte à en tirer le meilleur avantage», parce que jusqu'ici, souligne ce spécialiste, l'empire du Milieu semble encore en tirer plus profit.

Ristel Tchounand

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