"Les Etats Africains doivent simplement apprendre à travailler ensemble"

En marge de la séance plénière du sommet sur la sécurité maritime, près de 240 experts de plusieurs pays échangent à Lomé sur les questions liées à l’exploitation des ressources de la mer. Cyrille Atonfack, est capitaine de frégate et expert en question de sûreté et de sécurité maritime dans la Marine camerounaise. Dans un entretien qu'il accorde à La Tribune Afrique, ce conseiller technique au ministère de la Défense du Cameroun plaide pour une mutualisation des opinions des Etats pour la sécurisation du continent.

La Tribune Afrique : Les experts ont entamé leurs travaux en prélude à la séance plénière du 15 octobre. Vous êtes tombés d'accord sur un point:  mutualiser les forces des pays africains pour assurer la sécurité sur les côtes africaines ?

Cyrille Atonfack : Sur cette question liée à la sécurité maritime, les Etats Africains doivent simplement apprendre à travailler ensemble. La menace est globale, la riposte se doit aussi d'être globale. Il est prouvé qu'aucun Etat ne peut venir seul à bout de l'insécurité maritime. Nos Etats sont donc appelés à mettre ensemble leurs moyens, de petits moyens d'Etats en développement, pour travailler ensemble à la recherche de solutions justes et bonnes. C'est à cela que nous travaillons en ce moment. Le panel d'experts réuni ici est déjà la preuve que nos Etats africains ont accepté de travailler ensemble. Et donc nous pensons que ce 15 octobre, nos chefs d'Etat et de gouvernement vont trouver le moyen de travailler ensemble à Lomé, à travers la charte africaine qu'ils vont signer. Ce sera la première manifestation de leur volonté totale de travailler ensemble.

La mutualisation s'impose donc comme une obligation. Mais pour y arriver, il faut premièrement qu'à l'intérieur de chaque pays soit établi la transversalité interministérielle et inter-agences pour travailler ensemble. Ensuite, il faut qu'entre les pays d'une même région, il soit établi des canevas qui permettent de mettre ensemble les moyens pour arriver à un résultat en matière de recueil d'information, au partage d'information, voir à une intervention commune.

Les sociétés d'assurance ne jouent pas le jeu pour améliorer l'image du Golfe de Guinée, car cela leur profite. C'est cela le malheur de l'économie bleue en Afrique.

Le phénomène de l'insécurité maritime dans le Golfe de Guinée est souvent présenté de façon spectaculaire. Mais vous soutenez que la situation n'est pas aussi alarmante que le laissent entendre les chiffres...

Oui bien sûr ! Nous maintenons que les chiffres alarmants qui ont été communiqués ne reflètent pas la réalité sur le terrain.Parfois, lors d' activités en mer, un navire peut voir une pirogue voguer à ses côtés et donne aussitôt l'alerte en prétendant être attaqué. Alors qu'en vérité, il ne l'est pas. Justement dans ce cas, on ne prend pas la peine après de corriger les chiffres. C'est effectivement la preuve que les chiffres sont manipulés. Nous militons pour que les vrais chiffres sur l'insécurité maritime soient communiqués. Ce n'est pas le cas pour l'instant. Sur un autre plan, nous avons l'impression que les sociétés d'assurance ne jouent pas le jeu pour améliorer l'image du Golfe de Guinée, car cela leur profite. C'est cela le malheur de l'économie bleue en Afrique.

Une fois établi que le Golfe de Guinée est une zone qui n'est pas sécurisée, le coût d'assurance pour les navires vont grimper en flèche. Du coup cela va répercuter sur le coût du transport des conteneurs ou des marchandises, et in fine sur le consommateur lambda qui va payer plus cher à chaque fois. Voilà comment cela influe sur notre économie

Ces chiffres biaisés ont donc  de graves incidences économiques pour la zone du Golfe de Guinée ?

La réponse est simple: il faut arrêter de croire aux statistiques. Vous savez, le monde maritime est un des mondes les mieux organisés en matière d'assurance. Une fois établi que le Golfe de Guinée est une zone qui n'est pas sécurisée, le coût d'assurance pour les navires vont grimper en flèche. Du coup cela va répercuter sur le coût du transport des conteneurs ou des marchandises, et in fine sur le consommateur lambda qui va payer plus cher à chaque fois. Voilà comment cela influe sur notre économie. Et donc il est question de démontrer ensemble que le Golfe de Guinée ne soit plus décrié, pour qu'on ne dise plus que nos zones ne sont pas sures. Il faut que ce coût d'assurance baisse pour qu'ensuite le coût des marchandises baisse, pour qu'au final le consommateur paye le juste prix.

Ce que vous avancez là est-il étayé par des exemples?

 Le cas de mon pays est un exemple palpable. Les attaques avaient commencé aux larges des côtes du Cameroun, du Gabon et de la Guinée Equatoriale entre 2007 et 2008. Nous avons alors réussi à dynamiser une stratégie de la CEAC [Communauté économique des Etats d'Afrique Centrale, ndlr], et ensuite à implémenter cette stratégie dans 4 états pilotes de la zone: le Cameroun, le Gabon, la Guinée Equatoriale et São Tomé-et-Príncipe. Cette action nous a permis qu'au bout d'un an il n'y avait presque plus d'attaque dans cette zone. Alors le coût d'assurance a chuté et conséquemment celui des marchandises aussi. Dans cette zone aujourd'hui on ne paye pratiquement plus ce surcoût des assurances lié à la situation sécuritaire. Le problème est résolu. Voilà un exemple concret. Progressivement cela va s'imposer dans tout le Golfe de Guinée. Nos populations aussi seront ainsi à l'aise face aux prix des produits sur le marché, ceux-ci ne souffrant plus des surtaxes des sociétés d'assurance.

Quel est aujourd'hui l'influence réelle de la piraterie maritime sur l'économie des Etats africains ?

C'est relatif. Tout dépend de l'angle sous lequel on voit les choses. Si on est une société d'assurance occidentale, on dira que la piraterie maritime plombe complètement l'économie maritime du continent. Si on est un pays africain, on dira qu'il y a certes, quelques problèmes en mer, mais cela n'empêche ni la liberté de la navigation maritime, ni la liberté du commerce maritime, et encore moins le développement de l'économie à partir de nos ports.

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