«Tayi Tawri» : les Nigériens vont devoir davantage se serrer la ceinture !

Conjoncture oblige et pressé par ses partenaires financiers, le gouvernement nigérien s’est engagé dans une véritable opération de ressources internes. Des mesures annoncées pour le prochain exercice budgétaire vont se traduire par l’augmentation de certains tarifs et l’instauration de nouvelles taxes afin de rehausser les recettes fiscales. De quoi susciter l’inquiétude chez les consommateurs dont le pouvoir d’achat sera fortement impacté et qui s’attendent également à ce que l’Etat y contribue en réduisant son train de vie et en améliorant la gouvernance publique. De quoi exacerber les risques de tensions sociales dont les germes mûrissent depuis quelques temps. Décryptage.
Le président du Niger, Mahamadou Issoufou.

Les Nigériens avaient inventé depuis quelque temps un concept, «Tayi Tawri» (les temps sont durs en langue haoussa) pour ironiser sur la morosité économique ambiante dont les prémisses avaient pointé leur nez dès les premiers mois de la crise née de la baisse des cours des matières premières entamées en 2014. Ce n'était pourtant que la partie visible de l'iceberg, car si depuis, comme au niveau mondial,  le contexte ne s'est que relativement peu amélioré, les prochains mois s'annoncent encore plus difficiles et il va falloir se serrer davantage la ceinture. Cette fois, ce n'est point l'Etat et ses caisses qui vont subir l'impact de la crise, mais les contribuables, désormais «invités» par le gouvernement à mettre la main à la poche. C'est en tout cas ce que laisse présager le prochain exercice budgétaire qui s'ouvre dans quelques mois et qui, le moins que l'on puisse dire, ne s'annonce pas sous de bons auspices pour les consommateurs nigériens.

Malgré des perspectives économiques quelque peu solides selon le FMI, le pays traverse une crise des finances publiques avec l'assèchement des recettes provoquées par divers facteurs endogènes et exogènes. Après avoir tenté de tenir bien que mal ces derniers mois en misant notamment sur des mesures destinées à améliorer la mobilisation des ressources internes, les autorités nigériennes comptent désormais élargir l'assiette  fiscale pour engranger plus de recettes.

Hausse du tarif d'électricité, instauration de nouvelles taxes et certaines redevances ou réintroduction de la TVA sur certains produits de première nécessité : les mesures contenues dans le projet de loi de finances 2018 actuellement en discussion au Parlement vont induire une hausse du coût de la vie pour les consommateurs. Pour l'Etat, il s'agit plutôt de se conformer aux directives des partenaires financiers notamment le FMI qui soutient le Niger par un programme d'assistance financière au titre de la Facilité élargie de crédit. A plusieurs reprises, les services de l'institution de Bretton Woods ont certes encouragé le Niger sur les progrès réalisés conformément aux objectifs convenus tout en réitérant au gouvernement la nécessité de poursuivre les efforts pour une plus grande mobilisation des ressources fiscales.

La semaine dernière, à l'occasion de la dernière réunion de la zone Franc à Paris,  à laquelle a pris part le ministre nigérien des Finances Hassoumi Massoudou, les pays membres se sont engagés à renforcer la mobilisation des ressources internes, notamment les recettes fiscales qui ne dépassent pas 15% du PIB en moyenne dans la région. Un plan d'action en 21 mesures a été adopté en ce sens sous la direction de l'argentier français Bruno Le Maire qui a clairement fait savoir à ses homologues du continent  «qu'on ne peut pas envisager de réduction durable de la dette ni de relance de l'économie et de croissance sans mobilisation des recettes fiscales».

A force de ressasser les mêmes recettes, le message est cette fois bien entendu par le gouvernement nigérien qui n'a de toute façon pas beaucoup d'options en la matière.

Hausse du coût de la vie en vue

Lors de son dernier conseil des ministres du vendredi 6 octobre, le gouvernement a adopté un projet de décret portant approbation de la structure des tarifs applicables aux usagers finaux du service public de l'énergie électrique fournie par la société  publique d'électricité, la NIGELEC. Les nouvelles dispositions sont destinées à induire une hausse de la facture d'électricité des abonnés dès janvier 2018 comme l'a d'ailleurs expliqué, dans un point de presse tenu ce lundi 9 octobre, le directeur général de l'Autorité de régulation du secteur de l'énergie(ARSE). La hausse sera de 8% à un peu moins de 50% en fonction de la consommation et des tranches abonnements  des clients de la NIGILEC.

Ce n'est pas tout puisque dans le PLF 2018, le gouvernement a introduit de nouvelles dispositions dans le Code général des impôts (CGI) ainsi qu'aménager les modalités de recouvrement des taxes et impôts. Taxe d'habitation, taxe synthétique, aménagement ou réintroduction de nouvelles recettes fiscales sur certains services ou produits de première nécessité : la liste est loin d'être exhaustive et confirme l'ambition du gouvernement de porter le niveau des recettes de moins de 15% du PIB actuellement à 25% d'ici les cinq prochaines années. Les contribuables nigériens vont assurément trinquer !

Vents défavorables

Si le pays s'en sort relativement mieux que certains de ses voisins avec un rythme de croissance du PIB attendue de 5,2% cette année et une inflation de 2%, le Niger a subi de plein fouet les répercussions de la morosité économique mondiale induite par la baisse des matières premières notamment l'uranium dont il est l'un des plus importants producteurs et dans une moindre mesure le pétrole. A cela s'ajoute la récession qu'a connu son géant voisin et premier partenaire commercial le Nigéria  et par la suite sont venus s'ajouter le gel de certains investissements miniers. La conjugaison de ces facteurs a entraîné un important manque à gagner pour les caisses de l'Etat, ce qui a imposé au gouvernement d'entamer dès l'année dernière, la mise en œuvre d'une nouvelle stratégie de mobilisation des recettes fiscales afin de combler son déficit budgétaire qui ne cesse de se creuser alors que parallèlement la tendance à l'endettement sur les marchés régionaux et auprès des bailleurs internationaux lui avait valu des alertes répétées du FMI.

Ainsi, la loi des finances en cours d'exécution s'est traduite par la mise en œuvre de certaines dispositions visant la rationalisation des dépenses publiques par la création d'un compte unique au Trésor, l'informatisation des systèmes de gestion des régies financières et le gel partiel des recrutements dans la fonction publique. Des contrats d'autres agents du secteur de l'éducation ont même été résiliés officiellement à la suite d'une évaluation de niveau, sans pour autant que cela occulte l'autre objectif inavoué, celui de contenir l'explosion de la masse salariale dont le poids n'a cessé de s'alourdir ces dernières années creusant davantage le déficit budgétaire que le gouvernement n'a pas pu contenir par sa politique d'endettement.

A la fin du mois dernier, le Niger a dû réviser certaines dispositions de son Code des investissements afin de mettre fin à certaines exonérations fiscales qui engendrent une perte colossale aux caisses de l'Etat.

[Lire aussi : Niger : moins d'exonérations fiscales pour freiner la baisse des recettes budgétaires]

 En dépit de ces efforts, la moisson n'a donc visiblement pas été à la hauteur des objectifs et désormais même au sein du gouvernement, certains ministres n'hésitent pas à brosser un tableau sombre du contexte économique pour justifier la dynamique assez morose que vit le pays.

Il faut dire qu'en plus de la conjoncture internationale, le Niger fait face à une explosion de ses dépenses de sécurité afin de faire face à la multiplication des menaces (Boko Haram au sud-est, AQMI au nord-ouest et Daesh au nord-est). Selon le ministre des Finances, le déficit budgétaire actuel et qui pourrait se hisser à quelque  310 milliards de FCFA en 2018 selon les prévisions du PLF, s'explique en grande partie par la prise en charge de ces questions sécuritaires. Le président nigérien Mahamadou Issoufou a maintes fois fait d'ailleurs savoir que depuis 2011, les dépenses budgétaires consacrées à la sécurité et à la défense ont été multipliées par quinze, une charge colossale pour l'un des pays les plus pauvres du monde.

Risques d'exacerbation sociale

Les autorités ont alerté depuis l'année dernière que si rien n'est fait, la situation serait catastrophique, ce qui a sans doute préparé les Nigériens à anticiper certaines de ces mesures d'austérité. Bien que les autorités parviennent certes difficilement et assez souvent avec du retard,  à payer les salaires et les autres traitements des agents de l'Etat, les nouvelles mesures risquent d'exacerber les tensions sociales. L'augmentation du coût de la vie qu'elles vont induire sur le pouvoir d'achat des ménages et des simples citoyens est certaine, même si le gouvernement se défend de vouloir augmenter la pression fiscale individuelle.

De manière générale et contrairement au passé, les consommateurs se préparaient et semble s'attendre même à des lendemains incertains et surtout difficiles si l'on considère l'accueil réservé à l'annonce des nouvelles mesures dont c'est un fait, passeront sans problème la case Parlement, le gouvernement disposant d'une forte majorité. Toutefois, cela n'empêche pas l'amplification des tensions sociales qui risquent de s'exacerber au-delà des séries de grèves d'agents de l'Etat et des étudiants. Le fait est que pendant que les citoyens sont appelés à se serrer davantage la ceinture, le gouvernement lui rechigne à contribuer à l'effort national comme le fait remarquer l'économiste Adamou Louché Ibrahim pour qui «c'est à l'Etat de donner d'abord le bon exemple en réduisant son train de vie et en améliorant la gouvernance des administrations et services publiques».

Il est vrai qu'avec un gouvernement pléthorique d'une cinquantaine de membres, des institutions et services budgétivores, des fonds politiques exorbitants et des dépenses de prestige loin d'être prioritaires au vu du contexte actuel, le régime d'Issoufou Mahamadou ne semble pas s'inscrire dans une logique de cure d'austérité qui constitue pourtant l'alternative la plus crédible en pareille circonstance comme d'autres pays plongés dans la même situation ont décidé à le faire. C'est là que germent les risques d'exacerbation et de tensions sociales qui risquent de s'amplifier encore dès l'entrée en vigueur des nouvelles mesures, en janvier prochain.

En 2005, le gouvernement de l'époque avait tenté de faire rehausser la TVA applicable à certains produits de première nécessité dans le but justement de rehausser la recette fiscale. La levée de boucliers de la société civile et les manifestations monstres ont obligé les autorités à faire marche arrière.

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Commentaires 6
à écrit le 14/10/2017 à 11:54
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Les mille et une répercutions de la fin des manne pétrolières et autres matières premières... que font les despotes présidents: au lieu de réduire leurs train de vie, celui de leur nombreuse famille, ils talent le secteur privé seul créateur de riche...

à écrit le 12/10/2017 à 17:49
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Les dirigeants nigériens doivent prendre conscience de la situation morose du pays et cesser de distraire les citoyens qui se sont trompés en les élisant en 2016, qu'ils aient pitié des citoyens et voir dans quelles mesures réduire la taille du gouve...

à écrit le 12/10/2017 à 3:02
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Tout ce que les Nigeriens vivent aujourd'hui n'est que le fruit d'une mal gouvernance caractérisée.Comment peut-on imaginer un pays comme le Niger,avec un nombre pléthorique de ministères et dont certains sont sincèrement inutiles eu égard à la situa...

à écrit le 11/10/2017 à 14:53
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En toute franchise l'État nigérienne na pas pitié des pauvres citoyens,qui la vie devient de plus en plus dure.mieux vaux aller vivre au village que de rester a Niamey a cette allure. Tayi tawri est la vraie réalité au niger

à écrit le 11/10/2017 à 14:52
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En toute franchise l'État nigérienne na pas pitié des pauvres citoyens,qui la vie devient de plus en plus dure.mieux vaux aller vivre au village que de rester a Niamey a cette allure.

à écrit le 10/10/2017 à 18:10
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Bonjour, beau decriptage.

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