Conjoncture : après les années d'incertitudes, l'année de tous les défis !

L'année 2016 sonne comme une alerte pour l'Afrique subsaharienne avec  un taux de croissance de moins de 2% même dans les scénarios les plus optimistes. Il s'agit du niveau le  plus bas depuis plus de deux décennies alors que parallèlement, le PIB par habitant devrait aussi se contracter pour la première fois depuis 22 ans. Si plusieurs facteurs expliquent en partie cette baisse drastique de régime pour le continent mais au delà, cette situation montre que le continent est toujours à la croisée des chemins pour trouver la voie de l'émergence. 2017 s'annonce par conséquent comme celle des nouveaux défis en dépit de la persistance des incertitudes.

Il y avait eu les années d'euphorie, au tournant du nouveau millénaire, durant lesquelles l'Afrique affichait un rythme insolant de croissance dans un contexte de ralentissement économique généralisé et de crise financière dans les pays développés. Ensuite ce fut ensuite les années d'incertitudes, à la fin de la dernière décennie,  qui ont vu les répercussions de la conjoncture mondiale se conjuguer à une sérieuse baisse des cours des matières premières, ce qui a durablement affecté la dynamique de croissance du continent. C'est désormais, à partir de 2017, le temps du retour à la réalité pour l'ensemble des pays du continent qui doivent s'adapter à l'évolution du contexte économique mondial avec tout ce qu'il compte comme facteurs à risques, incertitudes et autres prévisions optimistes.

Autrement dit, l'année 2016 qui est en train de tirer sa révérence aura été celle de la fin de l'alerte avec un taux de croissance attendue de 1,7% soit le moins consistant des vingt dernières. A l'entame de la nouvelle année où les estimations s'attendent à un retour de la croissance dans une moyenne de 3 à 4%, c'est l'heure du grand réveil ! Il ne s'agit point de se leurrer et de se contenter des prévisions optimistes qui annoncent de meilleurs lendemains avec des espoirs sur la reprise des cours des matières premières ou la reprise de l'économie mondiale. Il s'agit plutôt, pour les pays africains, de savoir et surtout pouvoir tirer les leçons du passé afin de mieux anticiper les risques et corriger ce qui jusque-là empêche à  la croissance continentale de franchir le pallier qui lui permettra de s'inscrire résolument et durablement dans  le chemin de l'émergence c'est  à dire une croissance inclusive qui profiterait à tous.

Comme en pareille circonstance, les recommandations des institutions financières internationales ainsi que les mises en garde des agences de notations, serviront de garde-fous pour les gouvernements. En la matière pourtant, les leçons venues d'ailleurs semblent n'avoir pas encore porté  leurs fruits comme l'atteste ce frémissement de la croissance au premier choc des matières premières. Pourtant, ces dernières années, les Etats africains se sont inscrits dans la dynamique dite de l'émergence à travers des programmes et autres plans portés à coup de promesses de milliards mais dont les objectifs poursuivis restent jusqu'à présent au rang de projections. Il est vrai que les différentes stratégies mises en œuvre un peu partout sur le continent ne sauraient se traduire en résultats concrets qu'à moyen et pour la plus part à long terme, mais le processus de transformation structurelle de l'économie africaine à travers la diversification des leviers de croissance n'augure encore aucune perspective reluisante qui aurait pu servir de modèle à dupliquer.

Croissance économique contrastée

Dans le contexte encore contrasté qui est actuellement celui de l'économie mondiale, les pays africains n'évoluent pas tous à la même enseigne. Les locomotives du continent, producteurs de pétrole par excellence, accusent le coup avec beaucoup de casse comme c'est le cas particulier pour le Nigeria qui est même entré en récession il y a quelques mois, une première depuis plus de 20 ans pour la première économie africaine. En Algérie et  en Afrique du sud, la situation économique se dégrade de jour en jour avec des réserves de change qui fondent comme neige au soleil pour le premier et une monnaie qui se déprécie à vitesse grand V pour le second.

L'impact de cette crise que traverse les principales économies du continent n'est pas sans affecter leurs voisins directs. Dans la dernière édition de ses perspectives économiques du mois d'octobre, les derniers de l'année, le FMI a fait constater que les pays peu tributaires des exportations de produits de base, lesquels représentent environ la moitié des pays de la région, continuent d'enregistrer de bons résultats et affichent des taux de croissance d'au moins 4 %. Bénéficiant de la diminution de leur facture pétrolière, de l'amélioration du climat des affaires et du niveau élevé des investissements dans les infrastructures, des pays comme  la Côte d'Ivoire, l'Éthiopie, le Sénégal et la Tanzanie devraient encore enregistrer des taux de croissance de plus de 6 % au cours des deux prochaines années. En revanche, la plupart des pays exportateurs de produits de base subissent de graves tensions économiques. C'est le cas en particulier des pays exportateurs de pétrole, comme l'Angola, le Nigéria et cinq des six pays membres de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale, dont les perspectives à court terme se sont considérablement dégradées ces derniers mois malgré la légère remontée des cours du pétrole.

Dans ces pays, «les répercussions du choc initial se propagent désormais au-delà du secteur pétrolier et touchent l'ensemble de l'économie, et le ralentissement de l'activité risque de se pérenniser» note le rapport.

De leurs cotés, les pays exportateurs de produits de base autres que le pétrole continuent aussi de connaître des conditions difficiles, en particulier l'Afrique du Sud, où l'expansion de la production devrait marquer le pas cette année. De même, en République démocratique du Congo, au Ghana, en Zambie et au Zimbabwe, «la croissance économique accuse un ralentissement considérable ou reste molle et dans plusieurs de ces pays, toutes ces difficultés ont été amplifiées par les effets d'une grave sécheresse touchant une bonne partie de l'Afrique orientale et australe».

Dans l'ensemble, donc, l'évolution de la croissance économique du continent reste assez mitigée même si on décèle, ici et là, quelques exceptions qui confirment donc la règle générale que l'Afrique n'est pas encore sortie de l'auberge. Selon l'analyse d'Albert Zeufack, économiste en chef de la Banque mondiale pour l'Afrique dans le dernier rapport de l'institution sur les perspectives économiques mondiales, «les pays qui s'en sortent le mieux sont également ceux qui disposent d'un cadre de gestion macroéconomique plus solide et d'une réglementation plus favorable aux activités commerciales. Leurs exportations sont aussi plus diversifiées et leurs institutions plus efficaces».  En somme, l'évolution du rythme de croissance des pays africains reste encore largement tributaire de celle de l'économie mondiale et principalement de la tendance que prendront les cours des matières premières pour les prochaines années. Or, selon les dernières prévisions en la matière, le trend d'évolution de la croissance mondiale reste assez modérée, 3,1% attendue en 2016 et 3,4% en 2017. Dans le contexte actuel, c'est certes un signe d'éclaircie mais le FMI n'a pas manqué d'avertir que les risques de stagnation économique sont encore ambiants et surtout pourraient alimenter les appels au protectionnisme.

A l'heure où des partenaires stratégiques du continent vont devoir gérer certains dossiers qui ne manqueront pas d'impacter leurs économies comme le brexit en Europe où plane aussi la montée en puissance des partis d'extrême droite ainsi que l'élection pleine d'incertitudes de Donald Trump aux Etats Unis, les pays africains vont devoir plus compter sur le renforcement de leurs politiques internes afin de passer ce cap. Surtout que même au niveau des pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, la situation n'est pas aussi reluisante avec une croissante certes plus consistante, entre 4 et 7% selon les régions, mais moins importante que dans les années passées.

Nouveaux facteurs à risque

La Banque africaine de développement (BAD) s'inscrit dans un registre moins alarmiste que ses consœurs dans l'estimation de ses prévisions de croissance pour le continent où elle fait cas d'une certaine résilience de l'économie africaine en comparaison avec les autres régions du monde. Ainsi pour 2016 et 2017, elle s'attend à une reprise progressive de la croissance, à condition toutefois, «que l'économie mondiale redémarre, et que les cours des produits de base se redressent progressivement». Les incertitudes qui entourent les prévisions de croissance des pays africains restent assez pressantes et dans un cas comme dans l'autre, de nouveaux facteurs à risques sont progressivement en train d'entrer en jeu comme la détérioration du déficit budgétaire, l'endettement qui prend des proportions inquiétantes mais aussi l'effet attendu de la persistance des tensions sécuritaires ainsi que ceux induits par les phénomènes migratoires. C'est pour ces raisons que les institutions internationales assortissent désormais leurs projections de croissance à de nouvelles recommandations relatives à un ajustement des politiques publiques afin de  stimuler la croissance surtout dans les pays les plus touchés par la baisse des cours des matières premières.

«Du fait de la conjoncture internationale encore fragile, certains pays devront procéder à des ajustements structurels plus importants pour réduire leurs déficits budgétaires et extérieurs et mieux résister aux chocs économiques» plaide la Banque mondiale.

Le FMI souligne de son coté que même dans le cas des pays qui ont continué à bénéficier d'une croissance vigoureuse,  leurs déficits budgétaires se sont creusés et leur endettement s'est considérablement accru ces dernières années, en raison surtout de l'augmentation des dépenses de développement. «Dans ces pays, il est nécessaire, selon l'institution, de trouver un meilleur équilibre entre la nécessité d'accroître les dépenses d'investissement et le souci de préserver la viabilité de la dette». Pour le directeur du département Afrique du FMI, Abebe Aemro Selassie, «compte tenu de l'ampleur et de la persistance du choc, et comme les amortisseurs sont épuisés, un rebond de la croissance nécessitera un effort d'ajustement beaucoup plus soutenu, fondé sur un ensemble complet de politiques publiques formant un tout cohérent sur le plan interne afin de rétablir la stabilité macroéconomique».

La BAD rejoint également ce constat en soulignant que dans de nombreux pays, «les pressions budgétaires s'intensifient, ce qui impose plus que jamais de maintenir l'endettement à un niveau soutenable et globalement, les gouvernements continuent de faire preuve de prudence, limitant les dépenses et améliorant le recouvrement des impôts». De même, l'institution bancaire panafricaine estime que «la dépréciation rapide des taux de change et l'affaiblissement des balances courantes ont attisé l'inflation importée, d'où la décision dans les pays touchés de durcir la politique monétaire pour atténuer les pressions inflationnistes». Les banques centrales sont ainsi appelées à «laisser le taux de change absorber complètement les pressions extérieures et à resserrer la politique monétaire lorsque cela est nécessaire pour contrer une hausse prononcée de l'inflation».

Autant de conseils et de recommandations qui s'annoncent comme une nouvelle feuille de route pour les pays africains et qui prouvent une fois de plus, que le continent en plus de devoir faire à de nouvelles zones de turbulences, est toujours à la croisée des chemins. L'année 2017 sera à ce titre une année de tous les défis car des décisions qui seront prises pour faire face à la conjoncture actuelle dépendront, pour une large partie, la réponse aux défis de l'heure. Il est grand temps maintenant d'inscrire ces réformes dans une dynamique structurelle et c'est la fenêtre d'opportunité qu'ouvre cette année 2017.

Cure d'austérité et tensions sociales

C'est une manifestation parlante de la situation difficile que traverse l'économie africaine. Dans la plupart des pays, les budgets pour l'exercice 2017 qui ont été adoptés dans les derniers mois de l'année qui s'achève, se traduisent par une réduction de la voilure. Il s'agit d'un impératif au vue des alertes sur la tendance  à l'aggravation des déficits budgétaires ces derniers mois, à laquelle s'ajoute le retour d'une spirale à l'endettement. Alors que la marge de manœuvre s'effrite de plus en plus même dans les pays qui affichent un taux de croissance respectable, cette situation est assez inquiétante. Le recours aux marchés financiers qui  semble de plus en plus prisé par les pays africains risque de prendre un coup, ce qui oblige la plupart des pays à rogner dans leurs budgets afin d'afficher des indicateurs plus reluisants. Surtout que le FMI et les agences de notation y veillent de près!

La conséquence directe, c'est surtout les secteurs sociaux qui sont de plus en plus affecté par ce qui est annoncé comme une rationalisation des dépenses de l'Etat mais qui s'avèrent en réalité de véritables cures d'austérité se traduisant par des coupes salariales, le gel de certains investissements sociaux ou un recouvrement à pas de charge des taxes et autres impôts. Dans certains pays, des grèves ont commencé à émerger comme au Tchad ou au Niger alors qu'en Côte-D'ivoire, la tentative des autorités d'augmenter le prix de certaines prestations comme l'électricité ont virés à l'émeute. Avec la situation qui risque de persister, les risques d'une amplification de ces tensions sociales n'est pas à écarter si les autorités n'arrivent pas à trouver le bon équilibre pendant qu'il est encore temps.

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