Libye : Le maréchal Haftar perd pied dans le croissant pétrolier

Le nouveau né des milices libyennes, les Brigades de défense de Benghazi (BDB) viennent d’infliger un revers aux troupes de Haftar. La Libyan National Army, vient en effet d’être délogée d’une partie importante du Croissant pétrolier libyen qui contient 70% des réserves pétrolières du pays par les BDB. Une offensive qui constitue un frein aux désirs d’unification de Haftar et signifie un arrêt de la production, qui pourrait déboucher sur un défaut de paiement, notamment envers les fonctionnaires.
Amine Ater

Le « croissant pétrolier » libyen est actuellement le théâtre d'âpres affrontements entre les différentes factions qui lorgnent cet espace. Des forces libyennes qui revendiquent un soutien des Nations-Unies viennent de prendre le contrôle des 2 plus importants ports pétroliers du pays dans la nuit du 7 au 8 mars. Une situation qui a entraîné l'arrêt des expéditions de pétrole.

Un adversaire inattendu et atypique

Cette zone stratégique qui comprend 4 sites majeurs : Zoueitina, Brega, Ras Lanouf et Al Sedra couvre 70% des exportations en pétrole de la Libye. Contrôlées dans un premier temps par la Garde des installations pétrolières sous mandat du Gouvernement d'Union nationale ou GNA (Government of National Accord), installé à Tripoli par l'ONU. Les troupes de la Libyan National Army (LNA), commandées par le maréchal Khalifa Haftar, prendront par la suite le contrôle de la zone en septembre dernier.

Ces derniers viennent d'être délogés par les Brigades les Brigades de Défense de Benghazi, à la suite d'une offensive ayant débuté le 3 mars dernier et qui contrairement aux habitudes libyennes est demeurée secrète. Un silence brisé par les BDB après qu'ils aient réussis à prendre le contrôle effectif du terminal d'Al Sedra et de l'aéroport Ras-Lanouf. Les affrontements etre LNA et BDB sont toujours en cours autour du terminal de la dernière localité.

Cette attaque est surprenante à plusieurs points. La première reste ce nouvel acteur de la guerre multi-fronts qui gangrène la Libye depuis 2011, à savoir les Brigades de défense de Benghazi (BDB), dernier né de la myriade de milices qui se partagent le territoire libyen. Constituées en mai 2016, les BDB sont formées par d'anciens membres de l'armée régulière et de la police pré-révolution originaires de l'Est du pays, ces derniers luttent aux côtés de groupes islamistes. Un patchwork qui a été récemment adoubé par le mufti de Tripoli, Sheikh Sadeq al-Gheriani, et qui jouit du soutien/financement d'une partie de la population de Benghazi, chassée de la ville par la LNA.

Equippées de blindés, les éléments de la BDB ont réussi à prendre le contrôle d'une bonne partie du Croissant pétrolier, forçant les hommes de Haftar à battre en retraite. Un retrait justifié comme un moyen de sauvegarder les installations pétrolières par l'Etat-major de Haftar. Là où une partie de la presse libyenne impute ce revers de la LNA à l'appui de Hamad Abdeljalil Hasnaoui, l'un des chefs d'Al Qaïda et des renforts en provenance du Tchad.

Perte de vitesse de la LNA ?

Face à la supériorité numérique des BDB, la LNA a décidé de mobiliser son atout principal, à savoir son aviation. Les chasseurs de Haftar ont ainsi multiplié les frappes sur les positions des miliciens, notamment à Ras Lanouf. Une contre-attaque qui a poussé les BDB à ouvrir un nouveau front au niveau de la localité de Brega, situé à 120 km à l'Est de Ras Lanouf. Une manière pour les miliciens de soulager leur front principal poussant Haftar à détacher une partie de son aviation vers Brega, tout en évitant de se retrouver fixés à Ras Lanouf.

Selon une analyse du Conseil européen des relations internationales, le revers de la LNA serait dû à la perte récente de deux avions et au départ de mercenaires soudanais à cause de divergence avec l'Etat-major de Haftar. Cette offensive surprise des BDB n'a pas eu que des répercussions militaires, cette incursion des miliciens dans le Croissant pétrolier est avant tout une victoire politique et notamment de communication des BDB.

Une zone convoitée de tous

L'objectif de miliciens ne se limitent pas au contrôle des terminaux pétroliers. La motivation principale des BDB reste la reprise de Benghazi. La récupération de la ville est la principale revendication de la milice depuis sa création. Cette dernière serait par ailleurs, prête à céder le contrôle des terminaux pétroliers aux milices de Misrata contre un appui dans leur offensive vers l'Est.

Bien que rien ne laisse présager pour le moment que les BDB disposent toujours de soutien à Benghazi, cette avancée significative aura permis d'affaiblir la position de Haftar. En effet, la perte d'une partie du Croissant pétrolier fixe de fait les positions de la LNA à Brega et oblige Haftar à remettre à une date indéfinie sa fameuse offensive vers l'Ouest censée unifié le pays sous son étendard.

La prise des terminaux par la LNA en septembre dernier, a offert à Haftar un véritable poids politique. Le confortant aux yeux des occidentaux et du tandem sino-russe comme l'unique maître du pétrole libyen. Ce revers pourrait changer la mise et mettre fin à une partie des soutiens étrangers dont l'ex-général de Khadafi dispose.

La Libye compte actuellement 3 gouvernements : celui islamo-conservateur de Khalifa Ghweil à Tripoli qui n'est pas reconnu par la communauté internationale, celui de Tobrouk (Cyrénaïque) soutenu par la LNA et celui de Fayez Serraj imposé par l'ONU à Tripoli en mars 2016 et qui est depuis confiné dans la base navale de la capitale. C'est justement de ce dernier gouvernement que les BDB se revendiquent. Serraj de son côté n'a toujours pas confirmé ou infirmé ce ralliement, alors que la Garde des installations pétrolières a salué l'avancée des BDB et déclare même avoir dépêché des éléments sur place.

Le pétrole représente rappelons-le, 95% des revenus de la Libye. La production n'a jamais atteint les 1,6 million de barils par jour d'avant-guerre. La production avait atteint les 700.000 barils par jour depuis la réouverture de deux site pétroliers à l'Ouest. Bien qu'un accord tacite entre les belligérants permet à la banque centrale d'engranger l'ensemble des revenus pétrolier, le contrôle du Croissant pétrolier demeure un enjeu stratégique. Les combats actuels signifient également un risque pour la population civile vu qu'un arrêt prolongé de production déboucherait sur une incapacité de paiement qui toucherait les fonctionnaires, soit 80% des emplois en Libye.

Amine Ater

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