Justice-Télécoms : l’Algérie obtient gain de cause contre Orascom

Un tribunal arbitral vient de mettre fin au bras de fer qui oppose l’Etat algérien à l’homme d’affaires égyptien Naguib Sawiris. Il a rejeté la réclamation de 4 milliards de dollars émise par ce dernier contre Alger, dans le cadre d’un conflit autour de la compagnie télécoms Djezzy.
Ristel Tchounand
Le président algérien Abdelaziz Bouteflika et Naguib Sawiris, président de d'Orascom TMT Investsments.

L'Algérie n'a pas à payer, et ne paiera pas. C'est en substance la décision d'un tribunal arbitral à Washington dans l'affaire qui oppose depuis près de sept ans Alger à l'homme d'affaires égyptien Naguib Sawiris, via sa société Orascom TMT Investsments (anciennement Weather Investments II).

Dans une décision rendue le 31 mai dernier, le tribunal a rejeté en intégralité la réclamation d'un montant de 4 milliards de dollars, présentée par Orascom TMTI à l'encontre de l'Etat algérien, indique un communiqué de presse rendu public ce mercredi 7 juin par le cabinet d'avocats américain, Shearman & Sterling, qui défend et conseille l'Algérie dans cette affaire.

Les juges ont également condamné cette société de droit luxembourgeois à supporter l'intégralité des frais de la procédure (les honoraires et frais du tribunal, ainsi que les frais administratifs du CIRDI, à savoir un montant de 673 975,00 dollars), ainsi qu'à payer 50% des honoraires d'avocats et autres frais exposés par l'Algérie (3,5 millions de dollars au total).

Un conflit vieux de 7 ans

C'est l'aboutissement d'une bataille de plusieurs années. En juillet 2001, Orascom Telecom Algérie (OTA, désormais dénommée Optimum Telecom Algérie, exerçant son activité sous la marque Djezzy)  est lancée. Alors filiale d'Orascom Telecom Holding (OTH) de Narguib Sawaris à 97% des parts, la compagnie réalise de bonnes performances et devient leader sur le marché algérien de la téléphonie mobile.

En 2009, dans un contexte de dégradation des relations algéro-égyptiennes, Sawaris tente de vendre OTA. Cependant, les différents redressements fiscaux subis par l'opérateur à partir de ce moment déprécient sa valeur au point de lui faire louper un deal avec le sud-africain MTN. En avril 2010, les autorités algériennes -qui ont déjà manifesté leur désir de racheter 100% d'OTA- réaffirment leur refus de la vente totale ou partielle d'OTA à une tierce société, faisant valoir leur droit de préemption.

En 2011, l'italien Wind Telecom qui détenait 51% d'OTH cède ses parts au russo-norvégien Vimpelcom qui devient ainsi l'actionnaire majoritaire de la holding de Sawaris. L'Etat algérien ne cesse alors de manifester son désir de prendre des participations au sein d'OTA et y parvient définitivement en janvier 2015 pour 2,6 milliards de dollars.

Entre-temps, en colère contre Alger pour les tous blocages subis lorsqu'il avait la possibilité de céder OTA à un bon prix, Naguib Sawiris engage, via Orascom TMTI, des poursuites contre l'Etat algérien. En novembre 2012 en effet, Orascom TMTI introduit une réclamation devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) sur le fondement du traité bilatéral d'investissement entre l'Union économique belgo-luxembourgeoise et l'Algérie, puis soutient que la transaction intervenue en 2014 n'avait aucun impact sur cette procédure.

«Abus de droit», selon le tribunal

Mais pour le tribunal arbitral, le comportement d'Orascom TMTI constitue un abus de procédure, un «abus de droit».

«[Orascom TMTI] s'est prévalue de l'existence de divers traités à différents niveaux de la chaîne verticale de sociétés, faisant usage de ses droits à l'arbitrage et aux protections matérielles prévues par les traités de manière incompatible avec l'objet de ces droits et la finalité des traités d'investissement. Pour le Tribunal, un tel comportement est un abus du système de protection des investissements».

Estimant les demandes CIRDI d'Orascom TMTI couvertes par les demandes présentées dans l'arbitrage CNUDCI, ou auraient dû être prises en compte au moment de la vente de son investissement, le tribunal a conclu que l'accord transactionnel avait mis fin au différend soumis devant lui de la même manière qu'une sentence qui serait intervenue dans l'arbitrage CNUDCI l'aurait fait, rapporte la même source. De plus, Orascom TMTI n'ayant pas elle-même subi de préjudice, le tribunal l'a jugée incompétente pour reprendre à son compte le différend.

«Décision historique»

Dans le camp de l'Etat algérien, on s'en réjouit : «Nous sommes très heureux de cette sentence, non seulement pour l'Algérie, l'un de nos plus anciens et prestigieux clients, mais aussi pour la valeur de précédent de la sentence», a déclaré Emmanuel Gaillard, qui dirige le département arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling et a représenté l'Algérie dans cette affaire. D'après lui, cette décision du tribunal arbitral est un exemple pour la pratique des procédures d'arbitrage parallèles devenue de plus en plus courantes de la part d'actionnaires dans les sociétés aux chaines intégrées.

«Cette décision historique s'attaque directement au problème, en montrant que, selon les circonstances, les réclamations parallèles peuvent être intégralement rejetées même au niveau de la recevabilité», a-t-il ajouté.

Yas Banifatemi, responsable du département de Droit international public du cabinet Shearman & Sterling et a également conseillé l'Algérie dans cette affaire, a pour sa part, salué une avancée.

«Il s'agissait d'une affaire particulièrement complexe, notamment parce que la jurisprudence, à partir de l'affaire Lauder, s'était engagée dans une voie qui autorisait les comportements abusifs en se focalisant sur chaque action et chaque traité pris isolément, sans tenir compte du contexte juridique et factuel plus large impliquant les mêmes parties. Il s'agit de la première fois qu'un tribunal a véritablement pris en compte l'intégralité du contexte et appréhendé l'arbitrage dans son ensemble, plutôt que du point de vue isolé de chaque tribunal, bien que chaque tribunal soit constitué sur la base d'un traité distinct».

Pour l'instant, ni l'homme d'affaires égyptien, ni l'Etat algérien n'ont chacun réagi à cette décision de justice. Mais il est clair que dans le gouvernement Abdelmadjid Tebboune en sera plus que rassuré.

Ristel Tchounand

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